lundi 6 juillet 2015

Le "chasseur en terre".

Le "chasseur en terre".


C'est ainsi qu'on désigne, dans le nord-ouest de la France, le taupier, paria villageois isolé dans nos campagnes, où son existence est presque aussi solitaire que celle du trappeur dans les déserts du Far-West.
Errant de l'aube à la nuit, par les champs, par les près, on l'y voit tout seul, la bouette au long manche sur l'épaule, le carnier de cuir en bandoulière et ses pièges à la main. Une limousine terreuse, aux bord effilochés, jeté sur ses épaules, recouvre son sordide accoutrement. Dans l'ombre projetée sur son visage par son feutre goudronné, l'on voit ses yeux fauves briller d'un éclat inquiet lorsqu'on l'aborde.



Le chasseur en terre est taciturne, et s'il parle c'est par métaphore. Ses traits reflètent, inconsciemment, la grave placidité que la vue continuelle des spectacles de la nature imprime à la physionomie de ceux qui vivent constamment au milieu d'eux.
L’œil au guet, la tête baissée, on dirait que le taupier se conduit par le flair, ainsi que le limier. De quelle patience rusée, infatigable il est armé?
Sa vie solitaire, son genre de chasse et ses habitudes de taciturnité inspirent une crainte superstitieuse.
On lui suppose des connaissances surnaturelles.
Il possède des secrets, disent les naïfs, il jette des sorts...
Ceux qui le craignent, avec un peu plus de logique, affirment qu'il lâche, dans les terres des récalcitrants à lui payer l'impôt, les taupes femelles qu'il prend vivantes.
Si le fait est vrai, les ignorants n'auraient point à l'en blâmer trop fort... "car les taupes, mâles ou femelle vivent séparément".
Le salaire du taupier varie entre un franc et un franc cinquante centimes par jour. La parcimonie du paysan a même trouvé moyen de tondre sur ce prix par l'abonnement de quinze à vingt francs  par année, suivant l'étendue du domaine, le foisonnement des taupes, en raison de la proximité d'un bois, taillis ou futaie. Si le chasseur en terre travaille à la pièce, il reçoit deux à trois sols par chaque taupe prise.
Est-ce le taupier qu'il faut blâmer d'exercer son métier?... Eh non. Il faut incriminer contre l'ignorance qui ajoute foi aux dires de la calomnie.
"Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose; "triste, triste vérité de laquelle la taupe est injustement victime. On dit qu'elle se nourrit de racines, rien n'est plus faux. Si elle cause quelques dégâts dans les semis, ce n'est qu'en creusant, à cinq ou six centimètres au-dessous du sol, les galeries dans lesquelles elle circule. Mais, en compensation, que d'ennemis elle détruit! car sa nourriture est exclusivement animale, et, disons-le, son appétit ,sans cesse renaissant, insatiable...
Leur gloutonnerie dépasse toutes bornes, et pour assouvir leur faim, elles sont capables de tout... excepté manger des racines.
La taupe attaque toujours sa proie par le ventre, insectes, lombrics, mulots, musaraignes, grenouilles, tout lui est bon, sauf le crapaud qu'elle a en horreur, et le crapaud est utile: il mange limaces et pucerons. Ses mets de prédilection sont les vers blancs, ces larves de hannetons que les Normands appellent mans, et les courtilières la taupe-grillon, l'insecte Attila des maraîchers.
Ajoutons que si l'appétit de la taupe est extrême, sa soif est inextinguible....

                                                                                                       J. V. des Martels.

La mosaïque, Revue pittoresque illustrée de tous les temps et de tous les pays, 1878.

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