Une boutique de la galerie du Palais.
Nos lecteurs connaissent la galerie du Palais... Ils connaissent aussi les costumes de 1678:
ce gentilhomme et cette noble jeune dame en sont d'ailleurs de vivants modèles, et si l'on a quelques souvenirs des renseignements exacts et minutieux qu'à donnés, pour ce temps, l'auteur de l'Histoire du costume en France (1), on retrouvera même, dans cette estampe si réduite, ce qui caractérisait le goût du jour:
ce gentilhomme et cette noble jeune dame en sont d'ailleurs de vivants modèles, et si l'on a quelques souvenirs des renseignements exacts et minutieux qu'à donnés, pour ce temps, l'auteur de l'Histoire du costume en France (1), on retrouvera même, dans cette estampe si réduite, ce qui caractérisait le goût du jour:
- pour les femmes, des coiffes de réseau et de point, des rubans, des manchons, des garnitures de dentelles volantes, des tours de manches, des gants à entonnoir, etc.;
- pour les hommes, des chausses en rhingrave, des garnitures de chapeaux, écharpes, rabats, cravates, baudriers, nœuds d'épaule, garnitures et bordures en soie blanche ou aurore pour imiter les métaux, et même en or ou argent dont l'usage avait été défendu l'année d'avant.
La coiffure de la jeune dame paraît être celle que Mme de Sévigné appelle "tête de chou", et qu'elle avait vu pour la première fois sur la tête de la duchesse de Bourbon en 1671.
Mais où est la marchande? On la désire, et, ne la voyant pas, comment ne céderait-on point au désir de la chercher là où l'on est bien sûr de la trouver, dans la comédie de Pierre Corneille, la Galerie du Palais? Il est vrai qu'il s'agit ici d'une marchande de modes, et que Corneille met en scène une lingère: or ces deux professions s'étaient séparées l'une de l'autre en 1669. Il est vrai aussi que la comédie est de 1634; mais le langage et le caractère des marchandes de modes ne changent pas aussi vite que les formes légères des choses qu'elles vendent.
Ouvrons donc le livre. c'est l'excellente édition de M. Ch. Marty-Laveaux que nous avons sous les yeux (2); si quelque mot, depuis longtemps hors d'usage, nous arrête, nous somme sûrs d'en avoir aussitôt dans les notes une fidèle interprétation.
ACTE 1er. - SCÈNE VI.
HIPPOLYTE (fille de Chrysante), à la lingère.
Madame, montrez-moi quelques collets d'ouvrage (3).
LA LINGÈRE.
Je vous en vais montrer de toutes les façons.
DORIMONT, au libraire voisin.
Ce visage vaut mieux que toutes vos chansons.
LA LINGERE, à Hippolyte.
Voici du point d'esprit (4), de Gènes et d'Espagne
HIPPOLYTE.
Ceci n'est guère bon qu'à des gens de campagne.
LA LINGÈRE.
Voyez bien: s'il en est deux pareils dans Paris...
HIPPOLYTE.
Ne les vantez point tant, et dites nous le prix.
LA LINGÈRE.
Quand vous aurez choisi.
HIPPOLYTE.
Que t'en semble, Florice?
FLORICE, suivante d'Hippolyte)
Ceux-là sont assez beaux, mais de mauvais service;
En moins de trois savons, on ne les connaît plus.
HIPPOLYTE.
Celui-ci, qu'en dis-tu?
FLORICE.
L'ouvrage en est confus,
Bien que l'invention de près soit assez belle.
Voici bien votre fait, sinon que la dentelle
Est fort mal assortie avec le passement;
Cet autre n'a de beau que le couronnement.
LA LINGÈRE.
Si vous pouviez avoir deux jours de patience:
Il m'en vient, mais qui sont dans la même excellence.
FLORICE.
Il vaudrait mieux attendre.
HIPPOLYTE.
Eh bien, nous attendrons.
Dites-nous au plus tard quel jour nous reviendrons.
LA LINGÈRE.
Mercredi j'en attends de certaines nouvelles.
Cependant vous faut-il quelques autres dentelles?
HIPPOLYTE.
J'en ai ce qu'il me faut pour ma provision.
Au quatrième acte, scène XIII, la servante revient.
LA LINGÈRE.
De tout loin je vous ai reconnue.
FLORICE.
Il vaudrait mieux attendre.
HIPPOLYTE.
Eh bien, nous attendrons.
Dites-nous au plus tard quel jour nous reviendrons.
LA LINGÈRE.
Mercredi j'en attends de certaines nouvelles.
Cependant vous faut-il quelques autres dentelles?
HIPPOLYTE.
J'en ai ce qu'il me faut pour ma provision.
Au quatrième acte, scène XIII, la servante revient.
LA LINGÈRE.
De tout loin je vous ai reconnue.
FLORICE.
Vous vous doutez donc bien pourquoi je suis venue?
Les avez-vous reçus, ces points coupés nouveaux?
LA LINGÈRE.
Ils viennent d'arriver.
FLORICE.
Voyons donc les plus beaux.
.......................................................................................................................
LA LINGÈRE.
Eh bien, qu'en dites-vous?
FLORICE.
J'en suis toute ravie,
Et n'ai rien encor vu de pareil en ma vie.
Vous aurez notre argent, si l'on croit mon rapport.
Que celui-ci me semble et délicat et fort!
Que cet autre me plait! que j'en aime l'ouvrage!
Montrez-moi cependant quelqu'un à mon usage.
LA LINGÈRE.
Voici de quoi vous faire un assez beau collet.
FLORICE.
Je pense, en vérité, qu'il ne sera pas laid.
Que me coûtera-t-il?
LA LINGÈRE.
Allez, faites-moi vendre,
Et, pour l'amour de vous, je n'en voudrai rien prendre;
Mais avisez alors à me récompenser.
FLORICE.
L'offre n'est pas mauvaise, et vaut bien y penser:
Vous me verrez demain avecque ma maîtresse.
Un mercier voisin a écouté cette belle conversation, et, Florice partie, fait à la lingère une leçon de morale:
LA LINGÈRE, au marchand.
.... Faute d'avoir de bonne marchandise,
Des hommes comme vous perdent leur chalandise.
LE MERCIER.
Vous ne la perdez pas, vous, mais Dieu sait comment.
Du moins, si je ne vends pas, je vends loyalement,
Et je n'attire point avec une promesse
De servante qui m'aide à tromper sa maîtresse.
LA LINGÈRE.
Quand il faut dire tout, on s'entre-connaît bien;
Chacun fait son métier, et... mais je ne dis rien.
LE MERCIER.
Vous ferez un grand coup si vous pouvez vous taire.
LA LINGÈRE.
Je ne réplique point à des gens en colère.
Cette peinture de mœurs est bien de tous les temps. Les petites intrigues du commerce ne se sont pas laissé barré la route par 89: les célèbres principes de cette grande année ne leur ont point fait peur, et elles ont lestement passé par-dessus. On fit même que ce qui n'était jadis qu'un abus à demi voilé s'est en notre siècle établi en usage et se pratique ouvertement au jour. C'est une règle courante, par exemple, de s'assurer la clientèle des maîtresses en accordant aux servantes ce qu'on appelle des remises ou des gratifications sous différents noms. Les servantes n'ont garde de vouloir comprendre que ces remises sont en définitive es impôts indirects sur la bourse des maîtres; et, d'autre part, le plaisant est que les marchands, tout en imitant la lingère de la Galerie du Palais, se lamentent et crient que ce sont eux seuls qui sont les victimes de l'usage. O comédie éternelle!
(1) M. Jules Quicherat, professeur à l'école des chartes. Les premiers chapitres de cette Histoire ne sont point de lui: nous espérons qu'il voudra bien les refaire lorsqu'il sera arrivé au terme de cette série d'études, de manière à rendre le commencement digne de tout le reste.
(2) Les Grands écrivains de la France, nouvelles éditions publiées sous la direction de M. Ad. Régnier, membre de l'Institut. - Œuvres de Corneille, nouvelle édition, par M. Ch. Marty-Laveaux, tome II, Paris, 1862.
(3) D'ouvrage, c'est à dire ouvrés, travaillés.
(4) Le point d'esprit se monte sur cinq fils de long et cinq de travers, en laissant à chaque fois deux fils qui font une croix. Les cinq fils en tout sens sont embrassés d'un point noué. (Encyclopédie.)
La magasin Pittoresque, juin 1865.
La magasin Pittoresque, juin 1865.