lundi 29 juin 2015

La fatale nouvelle.

La fatale nouvelle.

Le peintre, comme le romancier, en cherchant à représenter une scène vraisemblable, arrive à reproduire, sans le savoir, une scène réelle. M. Henri Bource, quand il peignit sa Fatale nouvelle, ne pouvait connaître la simple et douloureuse histoire que nous allons brièvement raconter, et pourtant son tableau en reproduit avec une réalité presque photographique le triste dénouement.
C'était dans un village de pêcheurs, sur la côte du Pas-de-Calais, près de Boulogne. La falaise du haut de laquelle on aperçoit le rivage de l'Angleterre, blanc comme une muraille crépie à neuf, s'y creuse un petit port et abrite le village qu'on nomme le Portel.
Le temps avait menacé dès le commencement du jour. Toutes les barques étaient restées sans l'abri du port, où les remous des flots venaient les faire crier sur leurs chaînes, toutes, excepté celle de cadet Jozon. Il savait cependant mieux que tout autre, par un récent malheur, qu'il ne faut pas braver les fureurs de la mer; son frère aîné y avait péri moins d'une année auparavant. Mais il était encore jeune, d'une hardiesse téméraire, et n'écoutait pas volontiers les conseils. D'ailleurs il avait besoin d'argent, les huissiers le menaçaient, et sa seule ressource était dans le produit de sa pêche.
Il était donc parti. Et dans son humble demeure, tandis que les enfants jouaient, insoucieux, sa femme écoutait avec terreur les rafales de pluie qui fouettaient les vitres et le vent qui se déchaînait avec violence, mugissant le long des murs et hurlant dans la vaste cheminée. A peine avait-elle le courage d'ajouter quelques mailles au filet qu'elle s'était mise à raccommoder. Un vieillard infirme, son père, cherchait à calmer ses craintes. Trop inquiet lui-même, il ne trouvait à dire que des paroles banales.
Combien la journée leur parut longue! Plusieurs fois, la pauvre femme sortit, et, sous la pluie qui tombait à torrents, gravit la falaise d'où le regard pouvait embrasser les contours de la côte. Mais, par ce temps épouvantable, le ciel et la mer se confondaient dans d'épaisses ténèbres où le regard était impuissant à rien découvrir. Elle rentrait et reprenait machinalement son ouvrage.
Enfin!... un pas s'est fait entendre; une main s'est posée sur le loquet de la porte:
- "C'est lui!" s'écrie la femme du pêcheur, qui se lève pour courir l'embrasser...
Non, ce n'est pas son mari; c'est le messager de la fatale nouvelle!



Il ose à peine entrer, ce brave homme, un pêcheur aussi, un voisin, qui vient de voir sur le rivage le corps sans vie de cadet Jozon.
- "Dieu vous assiste! dit-il. C'est un grand malheur!..."
Sa voix tremblante et sa figure triste en disent plus que ses paroles. La femme pousse un cri et retombe sur sa chaise. Elle sanglote, et, parmi ses sanglots, on l'entend qui répète:
- "Mon mari!... Pauvres enfants!... Votre père!..."
Le malheureux avait été sans doute jeté par les vagues contre les rochers de la côte, au moment où il cherchait à rentrer dans le petit port. Une pointe aiguë lui avait ouvert le crâne. Il avait cessé d'exister quand on le trouva étendu sur le sable.
Que de misères eut à supporter ensuite la pauvre famille!... Heureusement, parmi ces rudes et simples populations de pêcheurs on ne connait pas l'oisiveté, et l'on connait moins qu'ailleurs l'égoïsme. Il semble que le danger commun y rapproche et réchauffe les cœurs. Les plus malheureuses épaves du naufrage de la vie y trouvent deux refuges: le travail et la charité fraternelle!

                                                                                                          Albert Parent.

La mosaïque, Revue pittoresque illustrée de tous les temps et de tous les pays, 1878.

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