samedi 27 juin 2015

La crinoline. part II.

La crinoline. Part II.


Les vertugadins étaient donc déjà, comme aujourd'hui ce que les femmes du peuple appellent, dans leur langage imagé, des couvre-misère, faisant ainsi allusion au linge déconfit qui se cache dessous.
On vit paraître quelque temps après, la plaisante Complainte de monsieur le*** contre les inventions des vertugales, par Guillaume Hyver. Elle débute par cette épigramme:

Ung temps fut, avant telz usaiges,
Lorsque les femmes estoient saiges...
Devinez, lecteurs, quand c'estoit.

On fit à cette complainte une réponse en chanson, sur l'air de : Ce premier jour d'apvril courtoys, qui alors était en grande vogue:

La vertugalle nous aurons,
Maulgré eulx et leur faulse envie
Et le busque au sein porterons;
N'esse pas usance jolye?

Henri III avait fait des ordonnances très-sévères, d'abord pour arrêter la mode des vertugadins, et ensuite pour en limiter l'usage dans les classes aristocratiques. Mais ces ordonnances tombèrent peu à peu en désuétude sous Henri IV, et lorsque arriva le règne de Louis XIII, les bourgeoises ne se faisaient pas faute d'imiter les grandes dames. Celles-ci ne trouvèrent pas d'autre moyen de se distinguer de leurs rivales que d'exagérer encore leur parure. Le Discours sur la mode, publié en 1613, en donne la preuve:

Le grand vertugadin est commun aux françoises, 
Dont usent maintenant librement les bourgeoises,
Tout de mesme que font les dames, si ce n'est
Qu'avec un plus petit la bourgeoise paroist:
Car les dames ne sont pas bien accommodées, 
Si leur vertugadin n'est large dix coudées.

Lorsque les femmes de qualité furent bien assurées qu'aucun édit somptuaire ne viendrait empêcher les bourgeoises de marcher de pair avec elles, quant à la forme des vêtements du moins, elle renoncèrent d'elles-mêmes à leurs vertugadins, et cet ornement disparu jusqu'en 1718 ou 1720, époque à laquelle on le vit reparaître sous le nom de paniers. Ce fut alors un tolle général, mais les femmes tinrent bon et la mode s'établit.
Le clergé s'en émut et attaqua la mode nouvelle par la parole, par la plume et par la confession.
Le Traité de l'indépendance des paniers, par l'oratorien Duguet, fit grand bruit, et quelques femmes, qui redoutaient encore plus le péché que le ridicule de se soustraire à un usage général, abandonnèrent un instant une mode qu'elles avaient acceptée trop inconsidérément.
Le P. Duguet avançait des arguments de ce genre:
"L'enflure des paniers porte à l'esprit l'idée de nudité. L'impression qui en reste salit l'imagination. Il y a dans cette mode, beaucoup d'incommodités, de l'aveu même de celles qui y sont le plus attachées; elle est gênante pour soi et pour les autres."
Voilà la meilleure des raisons, a écrit le sceptique abbé Jamet, à la marge de son exemplaire, en regard de ce passage. La duchesse de Bouillon, l'une des femmes les plus galantes de ce siècle, abhorrait les paniers pour les mêmes raisons et aussi pour celle qui l'empêchait de porter des franges et des galons dorés au bas de ses robes.
" Les inconvénients qui en naissent tous les jours, ajoute notre prédicateur, pour peu que les personnes qui les portent manquent d'attention sur elles-mêmes quand elle marchent, quand elles sont assises, quand elles trouvent élevées, quand elles s'agitent, sont capables de faire rougir les moins délicates sur l'article de la pudeur."
Ces considérations ont inspiré, en 1763, un petit conte libre, très-plaisant, le Caleçon des coquettes du jour, dans lequel on raconte, en vers badins, le danger des paniers dans les chutes ou par un coup de vent, et l'invention des caleçons qui en résulta.
Le P. Duguet prétendait, enfin, que les paniers "avaient une origine vicieuse en ce qu'on les avait portés dans l'origine pour déguiser des grossesses criminelles."
Le P. Duguet avait-il donc lu la Nephelococcygie de Pierre du Loyer, sieur de la Brosse, qui fait dire à l'un de ses personnages:

De ça quelques dames fines,
Pour leur grossesse cacher,
On voit la rue empêcher, 
Portant de larges vasquines.

Il y a dans cette pièce des traits charmants, mais écrit dans des termes qu'il n'est pas possible de répéter.
Le Journal de Verdun publiait, en même temps que le P. Duguet joignait sa voix à celle du vieux Pierre de Loyer, une épigramme sur le même sujet et bâtie sur la même idée:

Jadis, sage fille n'en portait point:
Un cotillon alors bien étroit et bien joint,
Sans ornement, sans nulle feinte,
recelait ses beautés.
Ces habits n'occupait qu'un terrein fort honnête, 
On ne le mesuroit que des pieds à la tête, 
Et non par l'ampleur des côtez.

Donc, malgré tous les efforts des prédicateurs sur le scandale et l'indécence des paniers, la mode en subsista. D'ailleurs, en haine des jésuites et des oratoriens, les jansénistes avaient autorisé les paniers, pourvu qu'ils ne fussent pas trop grands. Les petits paniers prévalurent alors et prirent le nom de jansénistes.
Les paniers eurent à cette époque une importance toute politique et une influence considérable sur les intérêts commerciaux de la Hollande. En effet, en juin 1722, les Etats généraux autorisèrent l'emprunt de six cent mille florins que M. le prince d'Ostfrise fit faire sous leur cautionnement. "Cette somme était destinée à soutenir la compagnie formée à Ostfrise pour la pêche de la baleine, dont le commerce s'étendait chaque jour davantage par la consommation extraordinaire de fanons ou côtes de baleines employées pour les cerceaux des femmes."
Si l'on veut se donner une idée de la dépense qu'occasionnaient les toilettes extravagantes du siècle dernier, il suffit de lire la Satire nouvelle contre le luxe des femmes:


On ne sait si leur taille est grossière ou menue;
Une étoffe, Damon, entassée en monceaux
Peut servir à couvrir de terribles défauts.
.............................................................
Je sais que, grâce au ciel, je n'ai ni femme ni fille;
Ainsi ce mal commun ne me touche pas tant
Que tel qui chaque jour en a pour son argent;
Mais je ne laisse pas d'en sentir quelque atteinte.
..............................................................
Mon procureur, avide autant qu'on le peut être,
Par ses vexations, me fait assez connoître
Qu'au luxe de sa fille un plaideur doit fournir.
............................................................
Il me faut débourser mes beaux écus comtans,
Tantôt pour falbalas, tantôt pour abattans,
Et le quart tout au moins de l'argent que je donne
Est pour rayon, Mary, Colinette, crémone,
Sourcils de Hanneton, mousquetaires, souris,
Battanpouce, assassins, suffoquans, favoris.
Ma mémoire, Damon, n'est pas assez fidèle
Pour pouvoir achever toute la kirielle.
Pretintaille est à part, car c'est là le gros lot;
Et tu veux cependant que je ne dise mot?
S'il faut chez le marchand aller faire une emplette, 
Ne fût-ce que d'un rien, j'en reviens bourse nette.

Félicitons-nous: un bon cachemire aujourd'hui nous met à l'abri de toutes ces fanfreluches ruineuses. Nous n'avons plus à craindre que les volants... , et les dentelles, et les bracelets, et les broches, et les bavolets, etc., enfin, le strict nécessaire. Les pères et les maris peuvent se rassurer.
A partir de 1728, la fureur des paniers ne connut plus de bornes; la reine elle-même tomba dans ce travers et trouva moyen de l'exagérer. Il en résulta un conflit qui faillit faire révolution et causa bien des insomnies à ce pauvre cardinal de Noailles. On lit dans le Journal de Barbier, publié par Charpentier: "On ne croirait jamais que le cardinal a été embarrassé par rapport aux paniers que les femmes portent sous leurs jupes pour les rendre larges et évasées. Ils sont si amples qu'en s'asseyant cela pousse les baleines et fait un écart important, en sorte qu'on a été obligé de faire des fauteuils exprès. Il ne peut pas tenir plus de trois femmes dans les grandes loges de spectacle. Cette mode est devenue extravagante, comme tout ce qui est extrême, de manière que les princesses étant assises à côté de la reine, leurs jupes, qui remontaient, cachaient celle de Sa Majesté. Cela a paru impertinent; mais le remède était difficile. A force de rêver, le cardinal a trouvé que, sous prétexte de réserver les places de Mesdames de France, il resterait toujours un fauteuil libre de chaque côté de la reine."
Mais l'affaire ne s'arrêta pas là: comme il y avait eu de la distinction entre la reine et les princesses de sang, celles-ci voulurent en avoir avec les duchesses, et elles obtinrent un tabouret vide entre elles. Les duchesses fulminèrent à leur tour, leurs maris prirent la mouche et il parut un libelle injurieux que l'opinion publique attribua au duc de la Trémouille ou au chevalier de Rohan-Chabot. Heureusement pour l'auteur, la police ne put découvrir son nom; mais, par arrêt du Parlement du 28 avril 1728, le libelle fut brûlé de la main du bourreau, au bas du grand escalier du Palais.
De toutes parts alors on attaqua l'usage de la mode. La Comédie-Italienne joua la comédie des Paniers ou les Vieilles précieuses. Legrand avait déjà fait jouer à Chantilly, en 1722, puis à Paris, en 1723, les Paniers et les Rendez-vous nocturnes, parades très-amusantes. Mais rien n'approcha, pour la violence ni pour la gaieté, des sermons ni de quelques mandements devenus célèbres. On a , à ce sujet, d'éclatantes sorties du P. Bridaine; un curieux sermon intitulé: De l'indignité et de l'extravagance des paniers pour des femmes sensées et chrétiennes; l'Entretien d'un confesseur et d'une pénitente sur les paniers.
Enfin, le 5 septembre 1732, l'archevêque d'Arles, Jacques de Forbin-Janson, lança un mandement qui finissait ainsi: "Nos anciens poëtes provençaux auraient pu justement appeler crebeçaos de magaigne, je n'ose pas traduire l'épithète, ou banastes d'infer (corbeilles d'enfer) ces paniers qui méritent l'humiliant nom d'oprecula iniquatis."
C'est seulement en 1759 que Mlles Clairon et Hus, à la Comédie française, eurent le courage de quitter à la scène "cette monstrueuse machine appelée panier" pour chercher à peindre aux yeux les caractères nationaux des personnages qu'elles représentaient. Ce trait d'audace encouragea quelques femmes de goût à réduire un peu l'ampleur de leurs robes, et le sieur Panard, tailleur, dans la rue du Petit-Lion, annonça, dans la Feuille nécessaire du 3 septembre 1759, un appareil nommé considération "pour soutenir les robes avec grâce, sans panier et sans être obligée de porter un trop grand nombre de jupons."
Cette invention n'était pas autre chose que le petit matelas appelé dès lors dos de crin, dont les dos de Paris modernes furent encore un diminutif. Pierre de Loyer, que j'ai cité plus haut, avait déjà signalé cet expédient dès 1554.
La production la plus complète et la plus spirituelle qu'ait inspiré la mode des paniers est une pièce anonyme presque introuvable, publié en 1727 par le chevalier D..., sous le titre: Satyre sur les cerceaux, paniers, criardes et manteaux volant des femmes, et sur leurs autres ajustements, et qui va être incessamment réimprimée dans le Trésor des pièces rares ou inédites, de M. Auguste Aubry.
Cette satire est, dans son genre, un petit chef-d'oeuvre de finesse et de malice.

                                                                                                                    A. de la Fizelière.

La Mosaïque, Revue pittoresque illustrée de tous les temps et de tous les pays, 1878.

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