vendredi 8 mai 2015

Saint-Quentin.

Saint-Quentin.
(Département de l'Aisne)



La ville de Saint-Quentin, qui a porté sous la domination romaine le nom d'Augusta Viramanduarum, était, au troisième siècle, une des principales villes de la Gaule romaine. Son nom d'Augusta était le titre du premier honneur  et de l'autorité suprême. sa situation à l'embouchure de cinq voies romaines partant de Soissons, de Reims, de Bavai, de Cambrai, d'Amiens, en faisait le centre d'opérations stratégiques et administratives importantes: aussi, un sénat y tenait ses assemblées; elle était gouvernée par des officiers qu'on nommait décurions, et ses citoyens avaient le droit de bourgeoisie romaine et étaient élevés au rang de chevalier, lorsqu'ils avaient bien mérité de la patrie. Le monument que les trois provinces de la Gaule érigèrent à L. Besius, superior Viromanduorum, nous apprend que ce citoyen avait obtenu ce titre.




Le tribunal où se rendait la justice se nommait prétoire. Quentinus ou Quentin, jeune homme de famille sénatoriale, y fut traduit et accusé d'avoir profané la religion de la mère patrie, d'avoir violé la majesté des empereurs. Rictius Varrus, préfet des Gaules, après avoir tourmenté Quentin dans les tortures les plus cruelles pour le forcer à sacrifier aux idoles, lassé de la constance inébranlable du saint martyr, lui fit trancher la tête le 31 octobre 302, et fit jeter, la nuit, son corps dans la Somme.
Les actes de la passion de saint Quentin ont été écrits dès les premiers temps de l'ère chrétienne; la Bibliothèque impériale possède plusieurs manuscrits très-anciens de cette relation. La bibliothèque de l'église de Saint-Quentin possède un manuscrit moins ancien de la Passion de saint Quentin, mais plus curieux par le grand nombre de peintures qu'il renferme. Ce manuscrit, oeuvre d'un chanoine nommé Raimbert, a été écrit par lui dans la première moitié du douzième siècle; il est orné de majuscules gracieusement contournées, tracées de différentes couleurs, et, dans le texte, on trouve vingt-trois peintures à la gouache, avec dorure et argenture, présentant toutes les tortures de la passion de saint Quentin.
Les commerçants de Saint-Quentin ont tenu anciennement à honneur de prendre pour enseigne quelque scène du martyre du patron de la ville. On ne rencontre plus aujourd'hui qu'une de ces enseignes, celle du Petit saint Quentin, encore ne remonte-t-elle pas bien loin. 




Elle n'est, du reste, que la reproduction d'une enseigne pareille beaucoup plus ancienne. La tradition raconte que la maison où cette enseigne est placée occupe l'emplacement de la prison où saint Quentin fut enfermé et dans laquelle il a subi les tortures qui ont précédé sa mort. Suivant un vieil usage consacré par le temps et qui a subsisté jusqu'en 1790, le clergé, lors de la procession des Rogations, s'arrêtait devant cette maison pour y chanter des antiennes. Pendant qu'on chantait, une jeune fille vêtue de blanc, parée comme une épousée, venait déposer une couronne de fleurs sur la châsse contenant les reliques de saint Quentin portées processionnellement.
La ville possédait autrefois un grand nombre de maisons fort curieuses qui tous les jours disparaissent. L'une d'elles, la maison de l'Ange, ainsi nommée à cause de l'ange saint Michel qui y était représenté, a été dernièrement démolie pour faire place à la salle de spectacle. Cette ancienne maison, bâtie en 1598, était surtout remarquable par les sculptures sur bois qui ornaient ses étaux, ses traverses, les éperons de ses poutres, et encadraient ses ouvertures.
La devanture de ce curieux échantillon de notre architecture bourgeoise a été sauvée de la destruction par M. le duc de Vicence, qui l'a fait transporter au château de Caulancourt.
L'on n'a point encore détruit la curieuse entrée de l'ancien hôtel des canonniers, qui date du commencement du dix-huitième siècle.
On sait que, dans chaque ville de quelque importance, des compagnies d'arquebusiers-canonniers s'organisèrent à la fin du quinzième siècle. Ces corps, qui rendirent de si grands services au seizième siècle pour la défense des villes, jouèrent plus tard un rôle moins important. dans quelques villes, notamment dans le nord de la France, les compagnies de l'arquebuse ont été célèbres au dix-huitième siècle par les fêtes magnifiques qu'elle ont données, lorsqu'elles rendaient le bouquet. 




Chaque compagnie avait son uniforme, son dicton. Dans une fête du bouquet qui eut lieu à Saint-Quentin, le 5 septembre 1774, quarante et une villes y prirent part. Voici les dictons des compagnies de ces villes:
- compagnie de Saint-Quentin, les Canonniers;
- compagnie de Coulommiers-en-Brie, les Savourets, ou Mangeurs d'argoumiaux;
- compagnie de Rozoy-en-Brie, les Roses ou Mangeurs de soupe chaude;
- compagnie de Lagny-sur-Marne, Combien vaut l'orge?
- compagnie de Charleville, les Brûleurs de noirs;
- compagnie de Montereau-faut-Yonne, la Poste aux ânes; 
- compagnie du Mesnil, les Buveurs;
- compagnie d'Avenay, les Bons raisins;
- compagnie d'Etampes, les Sables ou les Écrevisses; 
- compagnie de Mondidier, les Promeneurs;
- compagnie de Sainte-Menehould, les Chasseurs;
- compagnie de Brie-Comte-Robert, la Queue de veau;
- compagnie de Château-Thierry, Nul ne s'y frotte;
- compagnie de la Ferté-sous-Jouarre, la Poupée;
- compagnie de Melun,  les anguilles;
- compagnie de Senlis, les Besaciers;
- compagnie de Mézières, la Pucelle;
- compagnie de Sézanne, Petite ville, grand renom;
- compagnie de Soissons, les Beyeurs;
- compagnie de Saint-Denis, le Cri de France ou Montjoie saint Denis;
- compagnie de Vitry-le-Brûlé, les buveurs;
- compagnie de Corbeil, les Pêches;
- compagnie de Provins, les roses de Provins;
- compagnie de Nogent-sur-Seine, les Bons vivants;
- compagnie de Saint-Dizier, les Brayards;
- compagnie de Vitry-le-François, les Gascons;
- compagnie de Vertus, le Bon vin de Vertus;
- compagnie de Meaux, les chats;
- compagnie de Cambrai, les Friands;
- compagnie de Paris, les badauts;
- compagnie de Magny, les Oeufs;
- compagnie de Reims, les Mangeurs de pain d'épice;
- compagnie de Cressy-en-Brie, les Rognures de morue;
- compagnie de Châlons-sur-Marne, les Maraudeurs;
- compagnie d'Amiens, la franchise née Picarde, le cœur sur la main;
- compagnie de Troyes, les Bons camarades;
- compagnie de Pont-Saint-Maxence, les Soupiers;
- compagnie de Bar-sur-Aube, l'Oeil toujours ouvert;
- compagnie de Crêpy-en-Valois, les Cochons;
- compagnie de Dormais, les Coqs.
Les lettres n'étaient pas négligées non plus à Saint-Quentin et, vers le commencement du quatorzième siècle, un bourgeois de Saint-Quentin faisait une fondation considérable au Collège des Bons-Enfants de cette ville, en faveur de douze écoliers pauvres. Le collège a conservé le nom qu'il portait à cette époque, et aujourd'hui il est encore nommé collegium bonorum puerorum, collège des Bons-Enfants, comme il se lit sur une table de marbre au-dessus de la porte d'entrée. 




On sait que quelques communes avaient anciennement, outre leur sceau authentique, un scel particulier pour les causes. Ces sceaux sont assez rares, et le scel aux causes des jurés de la ville de Saint-Quentin présente quelque intérêt. Ce sceau représente, sur un fond semé de fleurs de lis, le maieur de la ville, à cheval, vêtu d'une longue robe, la tête nue; il tient une épée dans la main droite; derrière lui s'avancent deux sergents à masse, la verge et l'épée à la main. On lit autour: SIGILVM IVRATORVM. VILLE SCTI QVITINI AD CAS. 1559.
Depuis longtemps Saint-Quentin occupe par son commerce une position importante parmi les villes du Nord. A la fin du quinzième siècle, l'industrie des linons et des batistes, alors appelées toiles de Cambrai, remplaça peu à peu, dans cette ville, la draperie et la setterie qui y fleurissaient depuis le treizième siècle. Ce fut en 1803 que la première filature de coton fut introduite à Saint-Quentin par M. Jacques Arpin. Bien d'autres suivirent cet exemple. De puis les fabriques de tulle et de tissus, de broderies de toute espèce, par métier à la Jacquard, les filatures de laine, les fabriques de sucre indigène, ont développé et agrandi le commerce de cette industrieuse cité. Cet accroissement a été surtout favorisé par la démolition des anciennes murailles; par le canal de l'Escaut qui, mettant cette ville en communication directe avec les bassins houillers du nord de la France et de la Belgique, lui a permis d'acheter, dans de bonnes conditions, la houille, cet aliment des grandes industries modernes; enfin, en 1850, par l'ouverture du chemin de fer de Creil à Saint-Quentin, reliant cette ville à la capitale et au réseau des chemins de fer de la France. De toutes parts se sont successivement élevé, comme par enchantement, des quartiers nouveaux, et sur l'emplacement des bastions et des fossés, on voit aujourd'hui des filatures, des ateliers, des apprêts, et des établissements de toute nature qui font de Saint-Quentin moderne une des villes les plus industrieuses et les plus florissantes de la France.

Magasin pittoresque, décembre 1853.


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