samedi 2 mai 2015

Phare de Cordouan.

Phare de Cordouan.


De tous les monuments qui sont consacrés aujourd'hui à l'éclairage maritime, le phare de Cordouan est le plus remarquable par l'ampleur de ses dispositions et la richesse de ses ornements.
Il est établi sur un rocher isolé en mer, à l'embouchure de la Gironde, à peu de distance de cette pointe de Grave que nos ingénieurs ont peine à soustraire aux envahissements de la mer. Commencé en 1584 sous Henri III, il fut terminé en 1610; mais depuis il a été restauré à plusieurs reprises et considérablement agrandi.
On ne lui avait pas donné, à beaucoup près, autant de hauteur dans le principe, et il est facile de reconnaître, à l'inspection du dessin mis sous les yeux de nos lecteurs, que la partie de l'édifice qui s'élève au-dessus du couronnement des pilastres est de construction plus moderne que la partie inférieure. 


Ce précieux monument se compose d'une plate-forme circulaire qui en forme le soubassement, et de la tour du phare, laquelle s'élève au centre de cette base. Contre le mur d'enceinte de la plateforme, sont distribués les logements des gardiens et les magasins, constructions exécutées dans ces dernières années.
Quand on pénètre dans la tour, on trouve, au rez de chaussée, un vestibule de forme carrée, quatre petits réduits qui étaient autrefois affectés au logement des gardiens, et, en face de la porte, l'entrée du grand escalier. Au premier étage, qui portait et porte encore aujourd'hui le titre d'appartement du roi, est une salle de même dimensions que le vestibule, également accompagnée de quatre cabinets, mais plus richement décorée.
De cette salle, on peut se rendre sur une première galerie extérieure qui surmonte l'ordre dorique du rez-de chaussée. Le second étage était consacré à la chapelle. De forme circulaire, ornée de pilastres corinthiens et de sculptures d'une rare élégance, cette salle est couverte par une voûte sphérique décorée de caissons, et elle était éclairée jadis par deux rangs de fenêtres. L'un deux a été supprimé lors de l'exhaussement de la tour. Cette opération, qui pouvait paraître téméraire et qui témoigne d'une grande habileté, a été exécutée vers la fin du dernier siècle , par M. Teulère, ingénieur en chef de la généralité de Bordeaux. Elle a eu pour but d'augmenter la portée du feu, qu'elle a élevé à 63 mètres au dessus du niveau des plus hautes mers. On ne trouve plus de chambre dans cette seconde partie de la tour; elle est entièrement occupée par un escalier monumental du plus bel aspect.
La construction moderne ne produit pas, il faut le reconnaître, un effet aussi satisfaisant au-dehors; ses formes, trop nues, ont quelque chose de sec qui contraste d'une manière regrettable avec l'élégance et la richesse, trop grandes peut-être, de l'oeuvre de la renaissance. Il n'est pas nécessaire d'avoir un sentiment d'art bien développé pour être frappé de ce défaut d'harmonie; mais la première impression que fait éprouver la vue du monument n'est pas celle-là: on y est saisi d'un profond sentiment d'admiration dès qu'on se trouve en présence de ce majestueux édifice s'élevant si hardiment du sein de l'Océan.
L'ancien couronnement était plus riche et plus accidenté. Au-dessus de la seconde galerie, le dôme de la chapelle se marquait au dehors et était découpé par des lucarnes richement ornées, qui formaient le second rang de fenêtres de cette salle. Le dôme était surmonté, d'abord d'un pavillon circulaire accompagné de pilastres corinthiens et d'une balustrade à jour, puis de la lanterne qui était exécutée en pierres de tailles, et se composait de petites arcades et de colonnes supportant une coupole. Cette dernière disposition n'était pas aussi heureuse au point de vue de l'éclairage que sous le rapport de l'art, car les pieds-droits de la lanterne avaient le grave inconvénient d'intercepter une partie très-notable des rayons lumineux; elle fut toutefois respectée jusqu'au commencement du dix-huitième siècle, époque où une lanterne en fer remplaça la lanterne de maçonnerie dont les pierres avaient été calcinées par le feu.
On voit encore dans la chapelle, au-dessus de la porte d'entrée, le buste de Louis de Foix, le premier et le plus célèbre des architectes de ce monument; il est accompagné de l'inscription suivante, dont nous respectons l'orthographe:

Qvand iadmire ravi c'est oeuvre en mon covrage,
Mon de Foix, mon esprit est en estonnement.
Porte dans les pensers de mon entendement
Le gentil ingénievx de ce svperbe ovvrage.

Là il discovrt en soi et d'vn mvet langage,
Te va lovant svbtil en ce point mesmement
Qve tv brides les flots du grondeux élément,
Et dv mvtin Neptune la tempest et l'orage.

O trois et quatre fois bienhevrevx ton espri
De ce qv'av front dressé ce phare il entreprit
Povr se perpétrer dans l'hevrevse mémoire.

Tv t'es acqvis par là un honnevr infini,
Qvi ne finira point qve ce phare de gloire,
Le monde finissant, ne le rende finy.

La chute en est heureuse; mais deux autres inscriptions se lisent dans la même salle: elles sont commémoratives des travaux exécutés dans l'édifice, sous les règnes de Louis XIV et de Louis XV; et elles prouvent que si l'on ne lui était venu en aide, ce phare de gloire aurait disparu bien avant le terme assigné par l'auteur du sonnet. Une restauration, plus importante encore que les précédentes, a été entreprise d'ailleurs dans ces dernières années, et se poursuit avec la plus grande sollicitude sous l'habile direction de M. l'ingénieur Pairier; elle a pour objet de remplacer toutes les pierres rongées par le temps, et elles sont nombreuses, surtout au dehors, et de faire revivre les ornements qui, en plusieurs endroits, se devinent plutôt qu'ils ne se voient. On a aussi l'intention de rendre la chapelle au culte, et bientôt la Vierge de Cordouan sera de nouveau invoquée par les marins en danger et saluée par eux au retour.
Nous n'admettons plus autant de richesses d'ornementation dans nos phares. Nous ne les traitons pas comme des œuvres de luxe; nous les regardons comme des édifices d'utilité publique, auxquels il convient d'autant mieux de conserver leur caractère, avec toute la simplicité qu'il comporte, que la plupart d'entre eux sont établis loin de tout centre de population. La beauté que nous leur demandons est celle qui résulte du mérite des dispositions, de l'harmonie des proportions, de la perfection du travail, et de ce caractère monumental qui se concilie avec la hardiesse de la construction. C'est cet esprit de sage économie qui a permis à notre administration des travaux publics d'élever en un petit nombre d'années la plupart des phares que réclament les besoins de la navigation, sans grever nos budgets de charges trop lourdes à supporter. La majeur partie de notre littoral serait encore plongé dans l'obscurité, et, comme par le passé, serait souvent le théâtre des plus déplorables sinistres, si l'on avait voulu déployer dans ces édifices le luxe d'architecture qu'on admire à Cordouan.
Le nombre de feux allumés sur nos côtes, qui n'était que de 59 en 1830, s'élève aujourd'hui à 169, la Corse comprise, et l'on compte parmi eux 37 phares du premier ordre. Bientôt notre système d'éclairage maritime sera complet, car il ne présente plus que de rares lacunes. Tel qu'il est, d'ailleurs, il rend d'immenses services à la navigation, qu'il a affranchie des dangers les plus redoutables.

Magasin pittoresque, juillet 1853.

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