lundi 13 avril 2015

Le carnet de madame Elise.

Les étrennes qu'il faut donner.


A beaucoup d'entre nous le jour de l'an n'apparaît plus comme une époque de joie et de fêtes, mais comme une période de l'année qui impose de nombreux devoirs et une foule d'obligations. Des ressources inespérées ne sont pas venues grossir notre traitement ou notre revenu, et cependant il faut tailler une large part pour les étrennes.
Et cette part, comme elle nous semble étroite! Lorsqu'on cherche à équilibrer le budget des étrennes, supprimant d'un côté, ajoutant d'un autre, on n'arrive jamais à accomplir toutes les largesses projetées.
Chaque année la liste de nos cadeaux s'allonge, chaque année nous désirons éblouir davantage.
Il faut jeter de la poudre aux yeux; il faut que notre sac de chocolats porte la marque du meilleur faiseur et que son élégante enveloppe éclipse celles qui l'entourent.
Et pendant que durant des heures entières nous retouchons la liste de ceux auxquels nous devons des cadeaux, essayant de l'allonger sans pour cela augmenter le budget de nos étrennes, nous oublions qu'il est des être déshérités qui devraient y figurer les premiers.
Je sais bien que vous ne négligerez aucune de vos relations mondaines, que vous n'oublierez aucune des étrennes que vous devez offrir sous peine d'être taxée de personne incivile. Mais à côtés de ces obligations mondaines, pour lesquelles le code du savoir-vivre vous guide suffisamment, il y en a d'autres, aussi exigeantes, aussi impérieuses, indiquées celles-là par le code de la charité.
Je ne parle point ici des miséreux, pour eux le jour de l'an est un jour joyeux, car une crainte superstitieuse les rappelle à notre mémoire aux heures de dépenses et de gaîté.
Mais il est des pauvres honteux qui cachent avec dignité et à l'aide de subterfuges héroïques leur dénûment, leurs privations, leurs souffrances auxquels ce jour n'apporte rien.
Cherchez-les bien, vous en connaissez certainement de ces êtres timides qui se dérobent à toute manifestation, à toute expression encombrante de leur personnalité.
Et lorsque vous les aurez trouvés, soyez généreux envers eux, mettez dans leur ciel si triste du jour de l'an une lueur joyeuse, un gai souvenir.
Il y a des êtres que ne réchauffe aucune affection tendre, qui n'ont ni parents, ni amis; un bouquet, un objet de valeur sera un don précieux pour ces cœurs isolés. Il est des familles besogneuses auxquelles est interdite la moindre petite dépense supplémentaire, et pourtant, là, il y a des enfants qui aimeraient, eux aussi, à faire un joyeux nouvel an; ne craignons pas d'envoyez un cadeau prosaïque, une oie de Noël, un pâté de foie, quelques bouteilles de champagne: le désir de faire le bien ne doit pas s'arrêter devant ces manifestations prosaïques.
Songez à la surprise de ceux qui, n'espérant rien, reçoivent par vous un peu de joie chaude et de confort.
Si nous réfléchissions sérieusement,  nous verrions que nous sommes responsables du bonheur des autres, et que bien souvent nous y pouvons contribuer.
Une certaine paresse, une certaine indifférence vous engagent à vous abstenir, quand au contraire, nous devrions chercher sans cesse à réparer les injustices du sort en faveur de ceux qui sont moins bien partagés que nous. C'est là du vrai socialisme et du bon, croyez moi.

                                                                                                         Mme Elise.

Mon Dimanche, 1er janvier 1905.

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