lundi 20 avril 2015

Isabeau de Bavière, reine de France.

Isabeau de Bavière.
           1371- 1435.



Isabeau ou Isabelle, fille d'Etienne II, duc de Bavière, et reine de France, naquit en 1371. Sa beauté, le crédit dont jouissait la maison de Bavière, le besoin qu'avait la France de se fortifier par une alliance avec l'Allemagne, furent les causes principales de son mariage avec le jeune roi Charles VI. On a jusqu'à présent méconnu les caractères généraux du règne de Charles VI; il est essentiel de les préciser pour expliquer toutes les révoltes populaires de cette époque, et le rôle qu'y joua madame Isabeau.
Jusqu'à la mort de Charles V, le mouvement politique avait été plutôt bourgeois; les gens des halles s'étaient de temps à autre soulevés, dans les provinces surtout, mais ce n'était là que le retentissement de la révolte bourgeoise. Sous Charles VI, le peuple des campagnes agit sur l'administration; les bourgeois ne sont plus aussi turbulents, aussi jaloux de l'autorité royale; c'est le menu peuple qui s'émeut, et impose sa volonté, non-seulement à la cité, mais encore aux conseils du prince. Les riches bourgeois sont pour le parti de l'ordre et de la paix, ils montent le guet et garde, paient les redevances sans murmurer, mais les halles se révoltent, exigent des concessions. 
Le second fait remarquable de cette période, c'est la facilité avec laquelle la domination anglaise s'établit à Paris et dans la plus grande partie de la France. Sans doute la triste bataille d'Azincourt, la supériorité des archers anglais, contribuèrent à fonder la puissance de Henri V et du duc de Bedford; mais jamais un gouvernement ne se consolide s'il n'y a sympathie et affection. Il faut bien le dire, cette affection existait; elle se retrouve dans le parlement, dans l'Université de Paris, dans le peuple des halles. La cause de Charles VI et du dauphin était celle des gentilshommes; le trône du roi anglais Henri V se liait aux intérêts de la bourgeoisie, des clercs et des métiers. On a fait de longs poëmes sur la joie qu'éprouva le peuple pour le rétablissement de Charles VII; il n'en fut rien. Le parlement, l'Université, les halles en furent attristés. Chose curieuse! une des popularités de l'époque fut Isabeau de Bavière, dont nous allons tracer la vie; et Isabeau avait signé le traité qui faisait passer la couronne au roi anglais!
Madame Isabeau fut conduite en France par le duc Frédéric de Bavière; elle vint à Amiens sous prétexte de pèlerinage, et y vit le roi, alors âgé de dix-sept ans; elle était parée avec luxe et magnificence, ce qui fait dire à Brantôme qu'elle est la première de nos reines qui a apporté en France ce goût effréné des beaux vêtements  auquel les dames de la cour se livrèrent depuis sans retenue. Les épousailles eurent lieu à Amiens le 17 juillet 1385. Charles VI manda à ses bons bourgeois de Paris que la reine devait bientôt faire son entrée, et qu'ils se préparassent à la bien fêter.



Les bourgeois n'étaient pas mécontents; à chaque grande solennité, la couronne leur accordait de nouveaux privilèges; "aussi, disent les chroniqueurs, toutes les rues furent tendues de belles tapisseries, et il y avait, à chaque carrefour, diverses histoires et fontaines jetant eau, vin et lait. Ceux de Paris allèrent au-devant avec le prévôt des marchands, et grande multitude de peuple criant: Noël !, Noël ! Le pont sur lequel la reine passa était tout tendu d'un taffetas bleu, à fleurs de lis; et il y eut un homme assez léger, habillé en forme d'ange, qui vint des tours de Notre-Dame à l'endroit dudit pont, et à l'heure où la reine passait, il lui mit sur son front une belle couronne. Et devant le Châtelet, il y avait un beau lit pour représentation du lit de justice en parlement. Le lendemain, Sa Majesté, pour festoyer sa femme, ordonna un grand tournoi avec joûtes à Saint-Denis; les chevaliers qui devaient joûter étaient menés par des dames vêtues de robes semées d'or, et les coursiers avaient au col de gros lacets d'or et de soie que les dames tenaient entre leurs mains."
Tous ces plaisirs et ébattements, dont les détails sont si divertissants dans les vieilles chroniques, durèrent peu. Quelques mois s'étaient à peine écoulés, et on répandit le bruit d'une liaison adultère entre la reine et le duc d'Orléans, frère de Charles VI. Hélas! la faiblesse du monarque favorisait tous les désordres; des tailles exorbitantes furent levées; tous les bourgeois en accusèrent Isabeau et le duc d'Orléans. Le roi était alors dans un état complet de démence; la garde de sa personne avait été confiée à la reine, et le gouvernement de l'Etat au duc de Bourgogne. Nous avons déjà parlé dans de précédents articles des querelles qui divisèrent le duc de Bourgogne et le duc d'Orléans, et de l'assassinat de ce dernier au mois de novembre 1407. Madame Isabeau vit la mort de ce prince avec une douleur profonde. Justement alarmée, elle s'éloigna de Paris où triomphait la faction du duc de Bourgogne; mais profitant bientôt d'une expédition qu'il fit en Flandre, elle revint dans la capitale avec la famille royale et se fit déclarer gouvernante du royaume pendant la maladie du roi.
La reine ne songea plus dès lors qu'à se rendre maîtresse des affaires. Pour affermir son autorité, elle la fit confirmer par une délibération générale du parlement, des princes, des grands du royaume, et indiqua ensuite un lit de justice. Toutes ces mesures, mal concertées, n'arrêtèrent point le duc de Bourgogne, qui marcha de nouveau sur Paris. Le luxe et les prodigalités d'Isabeau avaient excité la haine des bourgeois; tout ce qui leur arrivait de malheureux, ils l'attribuaient à ses déportements. Un jour, elle courut grand risque de se noyer sous le pont du Pec, et l'on ne manqua pas de dire que plus grande infortune lui arriverait, si elle ne se hâtait pas de payer ses dettes et de faire moins bonne chère en son hôtel, tandis que Sa Majesté le roi n'avait point de quoi dîner, et que la nourrice du dauphin grelottait de froid, n'ayant pas de quoi se vêtir, s'il faut en croire le moine de Saint-Denis. Aussi, à l'approche du duc de Bourgogne, madame Isabeau dut obligée de se réfugier dans la Touraine.
La paix de Chartres, conclue en 1408, fit rentrer la famille royale à Paris. La reine alla habiter le château de Vincennes. c'est là qu'on dévoila ses relations coupables avec Louis de Boisbourdon, son grand maître d'hôtel, jeune gentilhomme, l'un des plus braves du royaume. Le dauphin, qui avait découvert la triste conduite de sa mère, fit arrêter Boisbourdon; il fut appliqué à la torture, puis précipité à la Seine dans un sac en cuir, avec cette inscription: Laissez passer la justice du roi. Tous les officiers de la reine furent destitués, et elle-même exilée à Tours. Ce grand éclat produisit entre le fils et la mère outragée une haine que rien ne put jamais fléchir. Isabeau, captive à Tours, parvint à s'évader, et se rendit à Chartres, où elle proclama les premiers actes de son administration, elle créa un parlement, fit graver un sceau la représentant les bras étendus vers la France qui l'implore; dans toutes les lettres expédiées en son nom, elle s'intitule: "Isabelle, par la Grâce de Dieu, reine de France, ayant, pour l'occupation de monseigneur le roi, le gouvernement et administration de ce royaume."
Alors tout fut double dans le pauvre pays de France: c'était l'image du chaos. Les Anglais y avaient une armée puissante, et profitaient de la guerre civile pour s'agrandir. Le duc de Bourgogne venait de périr à Montereau, et sa mort réduisit la France au dernier terme de ses misères. Cette catastrophe, qui avait été machinée par le dauphin, accrut l'ardeur de vengeance d'Isabelle; elle adressa à toutes les villes une déclaration fulminante contre le dauphin et ses complices, meurtriers du duc de Bourgogne; puis elle traita avec le roi d'Angleterre pour lui livrer la France. C'est à Troyes que fut conclu, en 1420, le fameux traité par lequel on régla que Henri V épouserait Catherine, fille de Charles VI et d'Isabelle; qu'après la mort du roi, il succéderait à la couronne; qu'en attendait il gouvernerait la France en qualité de régent, vu l'incapacité de Charles. C'était violer les droits de la nation, renverser les lois fondamentales du royaume. Tout fut consacré par le parlement, et la reine, entourée des deux rois Charles VI et Henri V, fit son entrée à Paris, où les halles la reçurent avec une magnificence merveilleuse.
En 1422, Charles VI ayant suivi au bout de deux mois Henri V au tombeau, Isabelle se trouva sans appui. Le peuple, dans ses caprices, brise le lendemain l'idole qu'il encensait la veille; au milieu même de Paris qui applaudissait naguère à toutes les mesures d'Isabelle, la reine manqua de tout, et traîna dans la misère sa vieillesse languissante. Le traité d'Arras accrut encore ses douleurs; ce traité qui réconcilia Charles VII avec le jeune duc de Bourgogne, Philippe le Bon, fils de la victime de Montereau, prépara la restauration du roi de France. Isabelle mourut à l'hôtel Saint-Pôl le 30 septembre 1435, dix jours après la signature du traité d'Arras; elle mourut, détestée des Français et méprisée des Anglais, ses alliés. Son corps fut porté par eau, pour éviter les frais, à Saint-Denis, n'ayant pour tout convoi que quatre personnes: ce fut l'abbé qui l'inhuma, pas un évêque ne s'était présenté pour faire ses obsèques.

Silence... Elle fut reine! et l'on voyait encor
Briller sur son front pâle une couronne d'or.
Point de peuple à sa suite, et surtout point de larmes;
Un simple chevalier revêtu de ses armes,
Un serviteur, comme elle à la France étranger:
Dieu seul en ce moment semblait la protéger;
La prière, montant sur ses ailes de flamme, 
Ne désespérait pas du salut de cette âme.

La grande croix d'argent, les grands cierges bénis, 
Par des sentiers étroits marchaient vers Saint-Denis;
Et, d'un pieux respect conservant l'apparence, 
Des moines tristement conduisaient son cercueil,
Pour qu'il ne fut pas dit qu'une reine de France
Descendit au tombeau sans cortège et sans deuil.

Magasin universel, mai 1837.

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