mercredi 1 avril 2015

Bijoux mérovingiens.

Bijoux mérovingiens
          au musée d'Arras.



En l'année 1842, pendant les travaux de terrassement de la route de Lens (petite ville du Pas-de-Calais, célèbre par la victoire du grand Condé) à la Bassée (Nord), on découvrit un caveau en pierre contenant le squelette d'une femme encore revêtue de sa parure funèbre, c'est à dire de bijoux et de quelques débris de fils d'or. 
Ces précieuses dépouilles, qui ont très-vraisemblablement appartenu à une dame franque du cinquième ou du sixième siècle, furent recueillis et déposés au musée d'Arras. Malgré l'intérêt qui lui attire de nombreux visiteurs, l'écrin d'Arras est demeuré à peu près inédit. L'auteur du présent article en a publié deux pièces dans un volume tiré à cent exemplaires (Orfèvrerie mérovingienne. 1864.) , et les planches, lithographiées depuis longtemps par les soins d'un autre archéologue, attendent encore le texte qui doit les accompagner.
Pour que l'étude fut complète, il faudrait savoir exactement quelle place les objets découverts occupaient sur le corps inhumé. Hélas! on négligeait, il y a trente ans, la méthode préconisée en France par l'abbé Cochet (collaborateur dont s'est honoré longtemps le Magasin pittoresque) , méthode aujourd'hui appliquée chez nous comme à l'étranger, spécialement dans les fouilles de la Russie méridionale, et qui consiste à noter scrupuleusement la position des bijoux, armes, vases ou ustensiles trouvés au fond des tombes. Si les travaux de la route de Lens avaient été dirigés par des hommes pratiques tels que l'abbé Cochet ou M. Auguste Terninck, nous n'en serions pas quelquefois réduits à des conjectures qui pour la plupart, il est vrai, n'ont trait heureusement qu'à des détails d'une importance secondaire.
Voici la liste et la description des dix pièces que renferme l'écrin du musée d'Arras:

N° 1 et 2 (fig. 1) : une paire de boucles d'oreilles en or; l'anneau, de grand diamètre, est formé d'une épaisse torsade en fil soudés. 


Le barillet consiste en un polyèdre à quatorze pans, six carrés, huit triangulaires; quatre des carrés sertissent, sans aucun rabattu, des grenats en tables, couchés directement sur une plaque de fond dans des bâtes surhaussées que borde un mince filigrane strié à la lime; de petites bâtes cylindriques, veuves des pâtes blanches qu'elles comportaient jadis, surgissent aux angles des six carrés: les vides triangulaires semblent n'avoir jamais été remplis. Ce type, dont la technique est barbare, se rencontre dans diverses variantes tant en France qu'en Allemagne; des boucles d'oreilles analogues, provenant de Puszta-Bakod (près Kolocza, Hongrie), et conservées au Musée national de Pesth, sont d'un travail beaucoup plus lourd.

N° 3 et 4 (fig. 2 et 3): deux griffons ailés passant, 


découpés dans une plaque massive d'argent; le cou, le ventre, la cuisse et l'aile ont été champlevés pour recevoir des plaques d'or couvertes de filigranes et de granules; des grenats en tables, sertis au rabattu, et des boutons de pâtes blanches, brochent sur le tout. 



La tête est exprimée par une amande d'émail blanc opaque appliqué à chaud; au centre, un petit grenat circulaire, monté en or, figure l’œil. Travail barbare; le type et le décor accusent une influence orientale prononcée. Le revers desdits objets comporte les montants et l'arrêt d'une broche solide; ces griffons étaient donc des fibules destinées à maintenir un vêtement d'étoffe résistante, le manteau sans doute; il est plus difficile de savoir comment on les disposait. Bien qu'identiques de forme, ces animaux ne sont pas certainement appariés, puisqu'ils marchent dans le même sens et que le dessin de leurs filigranes est très-différent. On est induit à croire que, superposées l'une vers la naissance du cou, l'autre au milieu de la poitrine, les deux agrafes croisaient hermétiquement la longue mante ouverte des dames franques, précaution fort utile sous un climat aussi variable que celui de l'Artois.

N° 5 (fig. 4) : petite fibule en or, ovale, d'un travail beaucoup plus délicat que les précédentes; son plat extérieur, contourné à la base par un cordon filigrané, offre un élégant réseau cloisonnant des lamelles de grenat appliquées sur paillon, sans rabattu. 


Le cloisonnage, façonné au marteau, détermine des cavités profondes de trois millimètres, et dont les parois, quoique minces, ont gardé leur rigidité primitive. Ce joli bijou, destiné à rattacher la robe à une guimpe, sinon à la tunique intérieure, appartient à l'école industrielle qui fabriqua l'épée de Childéric (cabinet des médailles) , le fermoir de bourse d'Envermeu (Musée de Rouen), et d'autres objets découverts tant en Angleterre qu'en Suède: certains archéologues n'hésiteraient pas à le proclamer byzantin; nous sommes d'un avis contraire.

N° 6 (fig.5) :Disque d'or creux, à bordure filigranée, présentant une grande bâte ronde centrale entourée de seize autres; huit moyennes, circulaires ou ovoïdes, huit petites cylindriques. 


Des dix-sept gemmes qui ornèrent le disque, il n'en reste juste quatre, trois améthystes percées et une étincelle de la même pierre. L'objet ne porte aucune trace de broche, mais une série de trous forés à la circonférence de la plaque de fond prouve qu'il a été cousu sur une bande d'étoffe; or quelques figures antiques de dames italiotes ont un ornement semblable à la ceinture (voy. G. Micali, Monum. antich. pop. ilal. CV) , et notre disque est de fabrication gallo-romaine.


N° 7 (fig.6) : sphère en cristal de roche maintenue par deux frettes d'or filigranées et ciselées avec un goût exquis. 


A la croisure inférieure, on voit une plaque carrée de métal, munie de quatre boutons d'arrêt; la croisure supérieure rassemble l'extrémité des frettes sous une bélière à calottes ornée de filigranes. Bélière et frettes sortent, à coup sur, d'un atelier gallo-romain; mais on reconnaît le faire de deux orfèvres dont l'un était certainement plus expérimenté que l'autre. Le bijou était suspendu au cou par une tresse en fils d'or dont quelques brins ont pu être recueillis. Un globe pareil, trouvé dans la sépulture de Childéric (cabinet des médailles) , ayant perdu sa monture, celui d'Arras paraît être aujourd'hui l'unique spécimen complet du genre.

N° 8 et 9 : deux coulants ou grains de collier en pâtes vitreuses; l'un, cylindrique et jaune, l'autre, côtelé, sphéroïdal et d'un beau bleu tendre.

N° 10 : un grossier cylindre d'argent tourné en anneau (diamètre total, 0,043 m; épaisseur, 0,005 m) ; nous ignorons son usage.

Les objets, que nous reproduisons ici de grandeur naturelle, ont été gravés d'après les photographies de M. L. Grandguillaume.

Magasin pittoresque, octobre 1877.

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