mercredi 22 avril 2015

Abd-el-Kader

Abd-el-Kader.


Abd-el Kader a fixé et fixe encore assez vivement l'attention publique, pour que les détails suivants sur son caractère et sa vie présente de l'intérêt à nos lecteurs.
Abd-el-kader appartient à une ancienne famille de marabouts, qui fait remonter son origine aux califes fatimides; il naquit à la guetna de Sidi-Macchidin, aux environs de Mascara. Cette guetna est une espèce de séminaire, où les marabouts, ses ancêtres, réunissaient des jeunes gens pour les instruire dans les lettres, la théologie et la jurisprudence. Elle est située sur les flancs d'une montagne élevée, dans un site riant et pittoresque, où tout dispose à l'étude et à la paix de l'âme.
Abd-el-Kader fut aussi bien élevé qu'un Arabe peut l'être par son père, qui trouva à exploiter en lui une nature intelligente et vigoureuse. Encore fort jeune, aucun passage du Coran ne l'embarrassait, et ses explications devançaient celles des plus habiles commentateurs. Il se livra aussi avec zèle à l'étude de l'éloquence et de l'histoire. Aussi est-il maintenant l'homme le plus disert de son pays, avantage immense chez les Arabes, et connait-il parfaitement l'histoire de sa nation et les points que la nôtre a de commun avec elle. Il ne négligea pas non plus les exercices du corps, dans lequel il excelle: il passe généralement pour le meilleur cavalier de Barbarie. Enfin, à vingt ans, il se faisait remarquer par la réunion de toutes les belles qualités que les hommes aiment à voir dans ceux qu'ils mettent à leur tête.
Abd-el-kader est âgé de vingt-huit ans; sa taille est médiocre; il a peu d'embonpoint; sa physionomie est douce, spirituelle et distinguée; ses yeux sont beaux; sa barbe est noire et rare; ses dents, mal rangées, sont marquées de taches bleues; ses mains sont belles, et il en a un soin particulier; il porte la tête un peu penchée sur l'épaule gauche; ses manières sont affectueuses et pleines de politesse et de dignité; il se livre rarement à la colère, et reste toujours maître de lui; toute sa personne est séduisante; il est difficile de le connaître sans l'aimer.
Abd-el-Kader est d'une grande bravoure; cependant son esprit est plus organisateur que militaire. Quoique son âme soit fortement trempée, dans les circonstances pénibles où il s'est trouvé, il a eu quelques moments d'abattement. Ses mœurs sont pures et rigides; il n'a qu'une femme, qu'il aime tendrement. Sa famille se compose d'une fille de cinq ans, et d'un fils qui lui est né peu de jours avant l'entrée des Français à Mascara. Lorsqu'il était en ville, il habitait avec sa famille une assez belle maison, mais qui n'était point le palais. Il y vivait sans gardes et en simple particulier. Chaque jour, d'assez bonne heure, il se rendait au palais ou beylik pour y vaquer aux soins de l'administration et y donner ses audiences. Le soir, il rentrait dans sa maison, où il redevenait homme privé.
Abd-el-Kader est toujours vêtu très-simplement; son costume est celui d'un pur Arabe, sans aucune espèce d'ornement ni de marque de dignité; il ne déploie quelque luxe que pour ses armes et ses chevaux; il a eu pendant quelque temps un burnous dont les glands étaient en or. Il les coupa; voici à quelle occasion: Un de ses beaux-frères, qu'il avait nommé kaïd d'une puissante tribu, afficha dans cette position un faste qui fit murmurer. Il le manda, et après lui avoir reproché sa conduite, il ajouta: "Prenez exemple sur moi; je suis plus riche et plus puissant que vous; voyez cependant comme je suis vêtu; je ne veux même pas conserver ces misérables glands d'or que vous voyez à mon burnous." Et aussitôt, il les coupa. depuis cette époque, il n'a plus porté sur lui le moindre filet d'or ou d'argent.
Abd-el-Kader aime beaucoup l'étude, à laquelle il consacre le peu de moments que lui laisse sa vie agitée; il a une petite bibliothèque qui le suit dans toutes ses courses. Lorsqu'il est en expédition, son existence est beaucoup plus royale qu'en ville. Il habite alors une tente superbe, fort commode et distinguée. On y a pratiqué un petit réduit très-élégant où il travaille. Voici quel est au camp l'emploi de son temps, lorsque la journée n'est pas prise pour des opérations militaires: En arrivant dans sa tente, après la marche du jour, il ne garde qu'un domestique près de lui, et consacre quelques instants à des soins de propreté. Il fait ensuite venir des secrétaires, et successivement ses principaux officiers, et travaille avec eux jusqu'à quatre heures; il se présente alors à l'entrée de sa tente et fait lui-même la prière publique; il prêche ensuite pendant une demi-heure, en ayant soin de choisir un texte religieux qui l'amène tout naturellement à mettre en circulation les idées qu'il lui convient de répandre sur la guerre et la politique. Du reste, personne n'est obligé d'assister à ses sermons. Peu d'instants après, il se met à table, il mange avec son principal secrétaire Miloud-Ben-Arach, son confident intime, ses frères, lorsqu'ils sont à l'armée, et le plus souvent un de ses agas. Les mets qu'on lui sert sont peu nombreux, mais bons et préparés. Il ne fume ni ne prise, et prend peu de café.
Abd-el-Kader paraît avoir des idées religieuses et providentielles, mais il n'est point fanatique. Il ne craint point de discuter avec des chrétiens sur des affaires de religion, et il le fait sans aigreur et avec politesse; il est honnête homme et a des principes de moralité bien établis; il se montre exact observateur de sa parole, quoique fin et rusé dans l'acceptation diplomatique du mot. Rien n'est plus éloigné de son caractère que la cruauté; il gouverne des Arabes avec justice et douceur; il s'est toujours montré, lorsqu'il a pu, clément et généreux avec ses ennemis. Deux seulement ont été mis à mort sous son administration, et encore, après jugement: le cadi d'Arzew et Sidi-el-Gomary, cheik d'Angad, qui fut pendu à Mascara dans le mois d'août 1835. On a dit qu'il avait fait étrangler Sidi-el-Aribi. Ce chef, qui avait été très-légalement condamné pour trahison, est mort du choléra-morbus dans sa prison.
La conversation d'Abd-el-kader est animée et quelquefois brillante. M. Allegro, ancien officier d'ordonnance du général Trézel, se trouvant auprès de lui peu de temps avant la reprise des hostilités, lui conseillait un jour, avec adresse et convenance, de se désister d'une partie de ses prétentions au sujet du traité de paix du général Desmichels, et cherchait à lui prouver qu'il ne devait pas se laisser séduire par les caresses de la fortune au point de viser un but peut-être hors de sa portée: "Allegro, lui dit l'émir, il y a trois ans que je n'étais encore qu'un des quatre fils de mon père, obligé, lorsque j'avais tué un homme dans un combat, de m'emparer de son cheval et de son équipement pour augmenter ma chose. Tu vois ce que je suis maintenant, et tu veux que je n'ai pas confiance en moi!"
Abd-el-Kader ne paraît envier à l'Europe que des perfectionnements matériels, et fait peu de cas de notre civilisation. Il se plait à entendre parler des actes du gouvernement de Bonaparte, et ce qu'il admire le plus en lui, c'est non ses triomphes militaires, mais l'ordre qu'au sortir d'un bouleversement général il a su faire régner dans ses Etats.
Dans sa vie privée, Abd-el-Kader passe pour économe jusqu'à la parcimonie; mais comme prince, il dépense à propos. Il n'a que des idées fausses sur le commerce et les finances.

Magasin universel, janvier 1837.

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