lundi 16 mars 2015

Une chasse originale.

Une chasse originale.

Sur la terre battue, devant sa demeure, la femme malgache a étendu une natte. Un connaisseur remarquerait vite que cette natte est magnifique, très fine, ou plutôt qu'elle fut magnifique, car elle a fait son temps; peu soignée, elle est à présent déchirée, effilochée, presque en pièces. Le "jojoro", tel est le nom de cette natte particulièrement délicate, n'a plus aucune valeur, mais du moins, il a encore quelque utilité. Vous allez en juger par vous-même.
La femme malgache a revêtu un ample "lamba" et ce lamba en rabane, comme on appelle ce costume particulier, fait de rafia, l'habille des pieds au cou.
Ainsi vêtue, la femme, après avoir fait appel à une voisine complaisante, combien complaisante, s'accroupit à genoux sur la natte de jojoro et l'opération va commencer.
L'opération est curieuse pour des Européens qui ont peu l'habitude d'en voir de semblables, mais elle est loin d'être inutile. C'est pourquoi, encore que médiocrement attiré par le spectacle, j'ai suivi, avec intérêt, à quelques mètres, tous les détails de cette chasse où les seules armes pour traquer les... fauves sont les doigts agiles et rapides de la complaisante voisine.
Vous savez peut-être quelle est la mode pour la coiffure féminine à Madagascar. Les cheveux sont séparés en petites mèches et chacune est tressée soigneusement, non sans avoir été au préalable arrosée avec abondance d'huile de bœuf. C'est dans ce jardin bien dessiné et non moins bien humecté que les doigts agiles de la bienveillante amie poursuivent les ennemis.
Vous avez deviné de quelle nature sont ces ennemis et, puisqu'il faut appeler chaque chose par son nom, pourquoi ne pas dire que c'est une chasse aux poux dont vous êtes les témoins en regardant la photographie qui accompagne cet article.


La première fois qu'on aperçoit ce cérémonial étrange devant une case malgache, on reste quelque peu étonné, mais on se souvient avoir vu dans les jardins zoologiques les singes s'épucer; l'opération est tout à fait la même, un peu raffinée peut-être, mais néanmoins semblable dans beaucoup de détails.
On pourrait croire que les poux, puisque poux il y a, ne sauraient résister au travail délicat des tresses fines et surtout à l'arrosage copieux de l'huile de bœuf; croyance erronée, il faut dire la vérité, si... horrible soit-elle, les poux pullulent et la complaisante voisine a fort à faire.
Minutieusement elle écarte les tresses, et son regard examine les petits sillons qui mettent à découvert les racines des cheveux. Un geste rapide et voilà une capture faite!
Maintenant il s'agit de tuer l'ennemi, il faut les exterminer tous, le moyen est bizarre mais il paraît qu'il est excellent. La chasseresse porte le poux à sa bouche qu'elle entr'ouvre et elle l'écrase contre une de ses dents. Couic! Encore un, dont la carrière est prématurément terminée.
Je me suis laissé dire que certaines "dames" n'hésitent pas à croquer leurs captures, mais je signale le fait en passant, car d'habitude elles ne sont pas à ce point gourmandes. Parfois, lorsqu'une voisine vient de rendre à une de ses amies cet utile service, elle réclame à son tour la même faveur.
C'est un échange de bons procédés! Que vous en semble?

                                                                                                                Paul Louis Hervier.

Magasin pittoresque, janvier 1913.

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