mercredi 11 mars 2015

Les écoles ménagères agricoles.

Les écoles ménagères agricoles.

Depuis que l'on se préoccupe sérieusement des moyens à employer pour ramener à l'agriculture les bras et les intelligences qui tendent sans cesse à s'en éloigner, et que l'on considère comme une impérieuse nécessité de propager l'enseignement agricole parmi les populations rurales, un mouvement s'est dessiné en faveur des écoles ménagères.
Il est incontestable que,  pour retenir les cultivateurs aux champs, il faut former des fermières instruites, ayant la juste notion du rôle qui incombe à la femme dans la gestion de l'exploitation agricole et possédant toutes les qualités qui contribueront si puissamment plus tard à apporter au foyer rural le bonheur et la prospérité.
Puisque nous avons des écoles d'agriculture pour nos garçons, pourquoi n'aurions-nous pas un enseignement analogue pour nos filles, enseignement comprenant tout ce qui concerne les attributions d'une bonne ménagère, d'une femme de cultivateur? C'est une question que se sont posés beaucoup de bons esprits et à laquelle on s'efforce de donner une solution pratique.
Or cette solution est tout entière dans le fonctionnement de ces écoles ménagères, si peu nombreuses en France, et dont on observe la constante progression en Belgique, en Allemagne, en Angleterre, en Suisse, en Danemark, etc.

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La question de l'enseignement ménager dans nos campagnes a provoqué l'éclosion d'idées excellentes qu'il faut étudier avec soin, afin de les coordonner et de les adapter aux nécessités présentes et à venir de la vie rurale.
Il faut avoir toujours en vue cet objectif: rehausser aux yeux des familles d'agriculteurs la dignité, la noblesse d'une profession qui est la base de la prospérité des nations, et ramener la jeunesse des campagnes à une juste appréciation des avantages moraux et matériels que procure la vie aux champs.
Malheureusement le système d'éducation actuel prépare mal la jeune fille destinée à vivre à la campagne, quelque soit sa condition sociale, au rôle important qu'elle doit jouer plus tard.
La femme du cultivateur, grand ou petit, administre le ménage; elle gouverne la famille, et sa famille, agrandie, comprend tous les serviteurs.
Il faut qu'elle ait l’œil à tout, au ménage, aux provisions, à la basse-cour; sa sollicitude bienveillante s'étend aux travaux intérieurs, aux soins hygiéniques et à la direction morale des ouvriers.
Il faut qu'elle soit au courant de toutes les grandes affaires de l'exploitation, afin que, le maître absent, elle puisse répondre pour lui.
Or, à l'école, primaire ou secondaire, la jeune fille d'agriculteur apprend beaucoup de choses; mais on y néglige les questions qui doivent l'intéresser plus tard.
Si nous la mettons en pension, d'une paysanne on fait une demoiselle, d'une travailleuse une élégante frivole.
Nous voulions une formation modeste et intelligente, on nous rend une jeune fille ennemie de l'agriculture qu'on a tournée en ridicule autour d'elle.
Il y a plus d'un demi-siècle, Mathieu de Dombasle disait: "Le principal obstacle à la vie rurale se trouve dans l'éducation que reçoivent les femmes parmi les propriétaires qui jouissent de quelque aisance."
Cette opinion est malheureusement encore vraie aujourd'hui.

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C'est pour réagir contre cet état de choses qu'on s'occupe d'organiser l'enseignement ménager.
Il doit montrer que l'intelligence, le sens pratique et l'activité de la fermière constituent un joyau précieux.
Ce sont, en effet, ces qualités maîtresses qui amènent l'aisance à la ferme, faisant la basse-cour plus productive, le jardin plantureux, le fruitier riche, la table excellente, la maison riante et la vie des champs plus attrayante et plus saine que celle des villes
Les caractères saillants du féminisme rural sont tout entier dans cet aphorisme un peu trivial, mais bien expressif: "l’œil de la fermière engraisse le veau".
Dans le Pas-de-Calais, l'enseignement ménagé a donné, paraît-il, des résultats très encourageants avec des jeunes filles n'ayant qu'une faible instruction primaire. Elles arrivent à raisonner très bien toutes les opérations qu'elle exécutent suivant le programme arrêté (fabrication du beurre et du fromage, jardinage, etc.)
Les écoles ménagères et agricoles du Nord, des Côtes-du-Nord, de la Corrèze, de la Haute-Loire, de la Lozère, et surtout l'école normale de Mme de Diesbach, sont de même appelées à donner d'heureux résultats, qui se diffuseront parmi les populations rurales.
Souhaitons, pour le bien de l'agriculture, que se propage dans toutes nos régions cet enseignement ménager capable de former des bonnes fermières, dignes collaboratrices des travailleurs du sol.
Après ce premier échelon social, viendra celui des propriétaires fonciers.
Ceux-ci ne veulent pas rester à la campagne parce qu'ils trouvent difficilement des jeunes filles ne craignant pas de s'aller enterrer avec eux dans une belle campagne en plein soleil.
Mieux instruites dès leur jeune âge des choses de la terre, ces jeunes filles ne dédaignerons plus les champs et, avec ces compagnes fraîches comme le printemps et joyeuses comme des fauvettes, les fils de propriétaires de délaisseront plus leurs domaines.
Pour atteindre ce but, il faut que les jeunes filles soient bien persuadées qu'à la campagne on peut avoir toute l'élégance et tout le raffinement qu'on a dans une grande ville. Et, d'ailleurs, les femmes charmantes qui, depuis quelques années, sur bien des points de France, ont consenti  s'associer aux travaux de l'agriculture, ne prouvent-elles pas qu'on peut conserver, même au milieu des champs, la grâce, l'esprit et la beauté?

                                                                                                                Albert Joüon.

Magasin pittoresque, 15 avril 1913.

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