dimanche 1 mars 2015

Le pionnier américain.

Le pionnier américain.


La vaste étendue de sol fertile que possède le gouvernement des Etats-Unis se compose de terres qui lui ont été cédées par les nations européennes auxquelles il a succédé, par les différents Etats dont l'union se compose, et par les tribus indiennes que le système politique a toujours tendu à rejeter entièrement à l'ouest du Mississipi.
Peu de temps après la constitution du gouvernement fédéral, le congrès décida qu'une partie des terres publiques serait réservée pour récompenser les défenseurs de la patrie dans la guerre de l'indépendance, et que le reste serait mis en vente pour amortir les dettes de la république.
En 1842, il restait à vendre 1.407.241.313 acres (1). De nouvelles conquêtes ont encore agrandi cet immense territoire.
Avant d'être mises en vente, toutes les terres sont divisées en sections contenant chacune 640 acres. Les lignes de divisions sont, autant que possible, tirées suivant les points cardinaux et se coupent à angles droits. La trente-sixième partie des terres publiques (c'est à dire 640 acres par canton) est réservée, à perpétuité, pour défrayer les écoles. Sept cantons entiers, chacun de 23.040 acres, sont consacrés à l'entretien des différentes universités.
Plusieurs millions d'acres sont vendus, chaque année, aux enchères publiques, sur une mise à prix d'un dollar eu un quart à deux dollars par acre. (2) 
Le titre qui confère le droit de propriété est très-simple: c'est une feuille de parchemin in-4° qui mentionne la date d'acquisition, la situation du terrain acquis, et le nom de l'acquéreur. Ce document, signé par le Président des Etats-Unis et par l'agent de bureau des Terres publiques, est délivré sans frais au nouveau propriétaire, et peut être transféré par lui à toute autre personne sans aucune formalité.
C'est principalement de la classe moyenne des Etats-Unis que sort  le plus grand nombre de ces pionniers de l'agriculture qui, s'avançant de proche en proche dans l'intérieur modifient insensiblement la surface du continent américain.
Lorsqu'un fermier des vieux Etats voit grandir autour de lui sa famille, il consulte sa femme, et après avoir obtenu son assentiment, il se décide à aller chercher, vers les régions nouvelles de l'ouest, quelque grande propriété qu'il puisse acquérir à peu de frais. Il examine les cartes déposées au bureau des Terres publiques; il interroge les voyageurs; mais il ne se contente pas de ces renseignements, il veut tout voir et étudier par lui-même. Prenant pour guide un de ces chasseurs qui sont nombreux sur les frontières, il traverse des forêts immenses pour arriver jusqu'à la propriété qu'il se propose d'acquérir. Il juge des qualités du sol par la nature de ses productions; il observe les sources, l'humidité de la terre et ses différentes couches; il remarque les directions des montagnes qui règlent celles du vent et des ruisseaux; il cherche une chute d'eau où il puisse un jour bâtir un moulin; puis, ayant tout considéré, tout pesé, il revient et fait ses propositions aux employés du bureau des Terres publiques ou au propriétaire du terrain. 


Le marché conclu, une partie du prix payé, le reste hypothéqué sur la terre, notre industrieux colon se met en route, non pas encore avec sa famille, mais accompagné seulement de quelques serviteurs. Il s'attache d'abord à découvrir et à frayer une sentier commode, à bâtir une cabane d'écorce, à défricher une petite quantité de terrain pour la culture. Lorsqu'un espace suffisant est ainsi nettoyé et ensemencé, il l'environne avec des troncs d'arbres provenant du défrichement; car une clôture est nécessaire pour préserver les récoltes des atteintes des bêtes sauvages; et ces barrières, composées de longs soliveaux enchevêtrés aux extrémités, ou fixés en travers sur des pieux, donnent une physionomie particulière aux champs cultivés de l'Amérique.
L'été s'écoule, et durant tout ce temps le courageux pionnier n'a encore aperçu, de loin en loin, que quelques chasseurs américains armés de leur carabine, ou quelques sauvages. Aux premières rigueurs de l'automne, notre colon retourne au milieu de sa famille. Assis près du foyer, il raconte ses travaux à sa femme, à ses enfants. Le printemps arrive, et cette fois toute la famille se met en route. Deux ou trois chariots couverts contiennent les objets nécessaires à cette nouvelle vie: des lits, des outils, des provisions. L'excitation du voyage entretient l'ardeur dans les esprits; mais lorsqu'on est installé dans cette cabane où l'on doit vivre durant si longtemps privé de toutes relations sociales; lorsqu'on ne voit plus autour de soi que la ceinture lugubre des bois, l'aspérité d'une terre à peine défrichée, la solitude éternelle et silencieuse, il faut beaucoup de courage pour ne pas s'abandonner à des regrets.
Depuis l'instant de l'arrivée jusqu'à celui où les prairies seront devenues douces et unies, où les vergers seront couverts de fruits, où les champs seront dégagés des souches d'arbre abattus, que de privations, que de fatigues!
Comment renouveler les vêtements, les instruments de toute nature? Les premières récoltes suffisent à peine aux besoins de la famille; et quand même elles laisseraient un excédent, l'absence de chemin empêcherait d'en tirer parti. La nécessité rend industrieux: pendant les longues nuits d'hiver, tandis que les troncs entassés flambent et pétillent dans l'âtre, tandis que le vent et la pluie assiègent le toit, le colon, qui a apporté avec lui du cuir, raccommode les chaussures de ses enfants; il répare également les harnais de ses chevaux ou le bois de sa charrue. sa femme, de son côté, file la laine ou le lin, et fabrique elle-même les étoffes grossières. Les enfants, assis au coin du feu, tressent des corbeilles pour tenir lieu des coffres et des armoires que l'on n'a pu apporter. Parmi les ustensiles de ménages, les tonneaux sont peut être les plus difficiles à fabriquer. Le colon trouve un moyen d'y suppléer. Chaque fois qu'il trouve dans les bois un de ces arbres creux qui servent durant l'hiver de retraite aux écureuils, il y fait une marque; puis, aux jours de loisir, il va le couper, il le scie, le polit en-dedans, y met un fond, et se trouve ainsi avec une espèce de tonne ou de baquet dont la nature a fait une grande partie les frais.
Voilà comment le pionnier américain imite Robinson Crusoé dans ses ingénieuses tentatives; mais, plus heureux que le pauvre naufragé, il ne travaille pas pour lui seul; la présence de sa femme et de ses enfants soutient son courage, et le bonheur le récompense de ses peines.

(1) un acre équivaut à peu près à 40 ares, à un peu plus d'un arpent de Paris.
(2) Un dollar équivaut à 5 fr, 42 cent.

Magasin pittoresque, mars 1849.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire