lundi 30 mars 2015

Ceux dont on parle.

Bérenger.


M. Béranger est un brave homme. Ses discours sont ennuyeux, parce que c'est le propre des braves gens d'être ennuyeux, surtout quand ils sont sénateurs. Il ne faut pas leur en vouloir.
C'est dans la magistrature debout que M. Bérenger a commencé sa carrière: il y resta dix-sept ans. Il était en 1870 avocat général à Lyon. S'étant mêlé aux luttes politiques de l'époque, il fut arrêté par le procureur de Lyon, dont il avait voulu prendre la défense: on le relâcha au bout de douze jours de captivité.
M. Bérenger se fit alors inscrire au barreau ainsi que sur les contrôles de la garde nationale. Mais, voyant que ces marques de bonne volonté ne paraissaient pas à ses adversaires politiques, les radicaux, des gages suffisants de son loyalisme, il ne craignit pas, bien qu'il eut quarante ans, qu'il fut marié et père de famille, de s'engager comme volontaire parmi les mobilisés du Rhône et de se faire blesser à la bataille de Nuits. Des travaux plus paisibles lui incombèrent alors: il fit partie de l'Assemblée nationale et fut même ministre des Travaux publics du 19 au 24 mai 1873; vous pensez bien qu'il n'eut pas le temps de faire construire le moindre viaduc ni même de s'assurer des opinions républicaines de nos cantonniers. Aussi, l'histoire ne gardera-t-elle qu'une bien faible trace de la participation de M. Bérenger à l'administration des affaires du pays.



Il devait sous peu prendre une éclatante revanche: il fut, en 1875, nommé sénateur inamovible. Dix-sept ans passés dans la magistrature debout valait bien un siège, on lui en a donné un pour la vie.
Depuis lors, les préoccupations de M. Béranger sont plutôt morales que politiques: d'abord monarchiste convaincu, puis excellent républicain, il n'est peut être pas entièrement satisfait du régime auquel il s'est rallié; mais au lieu de changer les institutions, il prétend aujourd'hui changer les hommes!
Les criminels l'ont particulièrement intéressé. Sans doute, c'est pour leur faire oublier les réquisitoires qu'il prononça autrefois contre eux qu'il s'est voué à leur relèvement. Il est l'auteur de plusieurs lois destinées à adoucir l'effet des condamnations et il a, comme l'on sait, donné son nom à l'une d'elles, la plus humaine.
Il ne faudrait pas croire pourtant qu'à force de s'intéresser aux canailles, M. Bérenger ait oublié les honnêtes gens. Sa sollicitude s'étend sur la nation toute entière, et il a entrepris de relever notre moralité: pénible tâche! C'est dans cette vue qu'il ne perd pas une ligne des journaux, qu'il furette dans l'arrière boutique des libraires et tend l'oreille aux propos galants. Curiosité? Non: abnégation. semblable à ces censeurs héroïques qui expurgent les pièces de théâtre et risquent la damnation pour nous l'épargner, M. Bérenger s'expose à toute heure à rencontrer cette hydre, la Licence. Il l'épie, il la provoque, il la dénonce; il s'est fait délateur par vertu, et ferme les yeux quand le soleil se découvre.

                                                                                                               Jean-Louis.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 8 janvier 1905.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire