vendredi 27 février 2015

Les deux destinées.

Les deux destinées.

Les deux destinées sont là sous vos yeux, développés en tableaux successifs. 
D'un côté vous avez le sort de l'ouvrier laborieux; de l'autre, celui du débauché. ici, le travail en famille, le repos du foyer, la joie du salaire légitimement conquis; là, l'oisiveté des cabarets, la femme et les enfants que la fièvre dévore, et, pour réveil inévitable d'un rêve tourmenté, la prison!


Quant à l'origine des deux existences opposées, l'artiste vous l'a expliqué suffisamment quand il a écrit au dessus de celle qui vous épouvante: L'esprit au désordre; au-dessus de celle qui vous console: Le cœur à l'ouvrage!


Tout est, en effet, dans ces deux mots.
L'homme que vous voyez là, qui oublie les devoirs sérieux pour les turbulentes jouissances, qui va traverser les vices d'une course folle, et qui arrivera tôt ou tard au crime, c'est l'Esprit qui l'emporte, le même Esprit insatiable et sans freins qui perdit Faust, l'Esprit qui tenta le Christ sur la montagne. Génies sublimes et âmes grossières sont également exposés à ses fascinations. Resserré dans les humbles nécessités de la vie, on s'y trouve trop à l'étroit, on brise la chaîne des habitudes journalières, on monte la fantaisie comme on monte un cheval sauvage sur lequel on galope au hasard, et quand on veut l'arrêter, il est trop tard: fleurs et moissons, tout a été brisé sous les pieds!
Voyez, au contraire, celui que le cœur conduit. Il a repoussé les curiosités dangereuses, les audacieux caprices; il a aimé, et tout, dans sa vie, s'est subordonné à cet amour. Comme le ruisseau suit sa pente, il est allé là où était le bonheur de ceux qu'il devait protéger; il a accepté pour eux la fatigue, il a supporté l'ennui, et, insensiblement, ennuis et fatigues se sont dissipés; le devoir qui lui pesait comme un joug l'a orné comme une couronne.
Quand le Christ a béni les hommes pauvres en esprit et riches par le cœur, il a résumé la loi morale toute entière. Réunissez toutes les philosophies, et vous ne trouverez rien de plus simple, de plus général, de plus continuellement utile.
Les Arabes racontent qu'un élu de Dieu fut un jour rencontré par un ange qui lui proposa d'accomplir son souhait le plus cher. L'élu,  dont l'esprit s'était tourné vers la contemplation de l'infini, demanda à connaître le monde qui enveloppe la terre. L'ange l'y transporta; mais arrivé à ses dernières limites, l'élu vit s'ouvrir un autre monde qu'il voulut également visiter, puis dix autres, et mille autres qu'il traversa sur les ailes de son guide. Or, plus il s'enfonçait dans ces abîmes de la création, moins il était satisfait; le désir de connaître l'emportait toujours plus rapidement, comme malgré lui; sa course devenait à chaque instant plus douloureuse, et cependant, il ne pouvait s'arrêter! Tout à coup, il sentit cette fièvre s'éteindre, et il cria à l'ange de ne pas aller plus loin. Au-dessous de lui, à travers les nuées, il venait de reconnaître, sous un bouquet de palmiers, la petite maison dans laquelle il était né. Un souvenir du cœur avait subitement calmé les caprices de l'esprit.

Magasin pittoresque, décembre 1849.

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