mardi 17 février 2015

La réforme militaire en Chine.

La réforme militaire en Chine.


Les événements qui se précipitent depuis un demi-siècle dans l'Extrême-Orient, et notamment les guerres sino-japonaise, et russo-japonaise, contraignent lentement, mais avec sûreté, le Chine, à se transformer dans le sens de la civilisation moderne. Tout un ensemble de décrets impériaux tendent depuis quelque temps à introduire des réformes et à préparer le régime constitutionnel.
Parmi ces décrets, le plus important est celui qui concerne ce qu'on appelle les soldats mandchous des bannières. Nous croyons intéressant de donner à ce sujet quelques renseignements d'après une fort bonne étude récemment parue dans le Bulletin du Comité de l'Asie française. Quelques mots d'histoire sont d'abord nécessaires.
La dynastie mandchoue actuelle est de création récente en Chine. Elle remonte au milieu du XVIIe siècle. A ce moment, Mandchous et Chinois vivent en bonne intelligence, les premiers cantonnés dans le nord de la Chine, les seconds sous la dynastie chinoise des Ming.
A la suite d'une immense révolte (1644), l'empereur Ming appela à son aide une armée mandchoue, qui franchit la grande muraille, entra à Pékin, et là, le précédent empereur s'étant pendu de désespoir, mit un des siens sur le trône, fondant la dynastie encore régnante des Tsing.
Pour maintenir leur pouvoir sur l'Empire, les empereurs mandchous disséminèrent des garnisons dans les principales villes, l'ensemble de ces troupes formant une armée appartenant en propre à la dynastie des envahisseurs et désignée sous le nom des huit bannières. Ces soldats, qui occupent encore 22 grandes villes et qui sont presque exclusivement mandchous, ont une solde élevée, des privilèges pour eux et leurs familles, sont soustrait à toute juridiction civile, exempts d'impôts. Ils représentent un contingent d'environ 500.000 hommes.
Comme dans tous les pays où l'organisation sociale est fondée sur la domination d'une caste militaire, ces soldats des bannières sont naturellement l'objet du mécontentement et de la haine de la population soumise. Une des principales manifestation du réveil récent de l'esprit national du bas peuple chinois a été par conséquent une recrudescence de ces sentiments et il en est résulté une violente campagne et un mouvement profond d'opposition et de désaffection contre la dynastie.
Après diverses mesures qui tendaient à éluder les questions plutôt qu'à les résoudre, la Cour impériale s'est décidée à donner satisfaction dans une large mesure à ses sujets, et c'est ce qu'elle a fait par un décret du 27 septembre, qui sera une date dans l'histoire chinoise. Au terme de ce décret, qui ne restera pas lettre morte et qui a déjà reçu des commencements d'exécution, les soldats des bannières doivent maintenant gagner leur vie par leur travail; il leur sera distribué des terres, tandis que leur solde sera suspendue; ils deviennent justiciables des tribunaux ordinaires et assimilés en tout aux Chinois. Ce décret se termine par ces mots, qui en indiquent nettement la tendance: "De cette façon, il faut espérer que Chinois et Mandchous seront bientôt complètement fusionnés et que toutes distinctions entre eux seront supprimées."
Un autre décret, consécutif à celui des soldats des bannières, se termine de son côté par ces mots où il est fait allusion à toute la série des mesures précédentes: "Tout ceci a pour but de mettre rapidement le peuple chinois en état d'avoir une Chambre des députés, car le grand désir de la Cour est d'introduire dans le pays le régime parlementaire."
Si grand vague qu'il y ait évidemment dans ces phrases et quoiqu'on ne sache pas encore si l'on exécutera pleinement le décret sur les soldats des bannières, celui-ci marque néanmoins une date capitale dans l'évolution historique de la Chine. Il annonce la fin de la séculaire domination mandchoue sur l'élément proprement chinois et l'avènement très prochain de la Chine à une civilisation moderne. Le fait peut avoir, aura sans nul doute, pour l'Extrême-Orient, et pour la civilisation en générale elle-même, des conséquences incalculables.

                                                                                                                       H. Monin.

La Nature, 1907.

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