mercredi 11 février 2015

La crise Persane.

La crise Persane.

La crise qui vient d'éclater en Perse n'a surpris personne. Elle était inévitable et chacun la voyait venir, surtout depuis le départ clandestin de Mohamed-Ali pour sa villa de Baghshah.
L'entourage du jeune souverain donnait, à cet autre voyage à Varennes, différents prétextes: l'état de santé du shah, la proximité des chaleurs, etc., mais qui ne faisaient illusion à personne.
Il y avait du coup d'Etat dans l'air, et c'est à Baghshah qu'il allait se préparer.
Bientôt, en effet, comme on l'expliquait brièvement l'autre jour, le Medjiss (assemblée d'ailleurs stérile, bavarde, incapable de réformes sérieuses, absorbée par d'incessantes intrigues contre le souverain et ses ministres) se voyait sommé de rompre toute relation avec les Andjumans, sortes de cubs révolutionnaires formés un peu sur le modèle des terroristes arméniens ou russes, et violents comme eux, sommé aussi de livrer les chefs compromis dans le complot de Zill-és-Sultan, l'oncle du sultan, et pêcheur de couronne en eau trouble.
Et, comme les Andjumans ripostaient par une même mise en demeure, qu'ils concentraient des bandes armées autour du Baharistan, l'ordre partait presque immédiatement de Baghshah de disperser ces forces émeutières et d'en arrêter les chefs alors réunis dans la grande mosquée voisine. 


C'était la bataille, et une bataille qui se fit, ainsi qu'il arrive toujours dans les convulsions intérieures, dans les luttes civiles, âpres, furieuse, sans merci.
Les troupes cosaques dépêchées par le shah furent tout d'abord repoussées; mais on leur envoya des renforts, de l'artillerie, et bientôt, le Mouzzaffarich et l'Azebaïdjan, les deux principaux boulevards des Andjumans, étaient détruits, et les Andjumans eux-mêmes mis en déroute.
D'autre part, et ce qui donne à ces tristes événements un caractère politique des plus douteux, les députés étaient mis hors du Baharistan et le palais lui-même détruit à coup de canon. Bref, la lutte a tourné à l'avantage du shah, dont les conseillers ont eu la victoire terrible, voire implacable. Non seulement tous les chefs du mouvement, saisis par les troupes, ont été passés par les armes ou pendus, comme Malik-Moulik-Alamin et Manachir-Khan, ou plus horriblement suppliciés encore et soumis à l'affreuse torture du pal, mais la plus épouvantable répression a succédé à la bataille des rues. 


Pendant plusieurs jours Téhéran a été littéralement décimé. Par ordre du shah, les demeures désignées à l'avance furent froidement pillées, puis détruites, soit par l'artillerie, soit par la dynamite. De telles cruautés, de telles atteintes au droit des gens, ont été commises, que les représentants des puissances se virent obligés de rappeler les chefs militaires persans au respect de l'humanité et de la propriété privée. Les consulats ont dû donner asile à une foule de personnes, et, notamment, le consulat français, qui a recueilli le président même du Parlement, Momnaz-el-Dahouleh.
Le shah se défend, d'ailleurs, de vouloir attenter à la Constitution. Celle-ci fut, comme on le sait sans doute, donnée à la Perse par Mouzaffer-ed-Dine peu avant de mourir. Le vieux monarque, celui-là même que Paris se faisait un plaisir d'acclamer chaque fois qu'il lui rendait visite, avait compris, dans les dernières années de son règne, le besoin de liberté qui agitait la Perse, et il l'avait hâtivement dotée d'une Constitution, que son fils avait contresignée sous ses yeux, espérant ainsi voir succéder sans heurt une jeune monarchie constitutionnelle à la vieille monarchie de jadis.
Cette espérance, comme on le voit, ne devait pas se réaliser; toute précaution a été, par là, inutile.
On a fait, un moment, courir le bruit d'une intervention commune de l'Angleterre et de la Russie; mais celles-ci n'interviennent que pour demander à Mohamed-Ali de respecter les droits du peuple persan et lui donner des conseils de mansuétude.

Les Annales politiques et littéraires, revue universelle paraissant le dimanche, 5 juillet 1908.

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