mardi 24 février 2015

Ceux dont on parle.

Jules Lemaître.

J'avais, étant enfant, un jeu composé de cartons peints et découpés dont l'assemblage représentait un homme, mais on pouvait donner à ce pantin toutes sortes d'attitudes en disposant les cartons de manières différentes. On amuse beaucoup les petits en leur fabriquant des jeux semblables. pour amuser les grands, voici ce que vous pouvez faire: vous prenez trente années de la vie de M. Jules Lemaître et vous aurez un jeune homme studieux et obscur, élevé dans les séminaires, détenu à l'Ecole Normale et condamné au doctorat et eu professorat.
Prenez ensuite quinze ans de sa vie: le voilà gracié; un événement imprévu, un fait nouveau lui ouvre au dehors les portes de l'Université. Il les franchit à grandes enjambées, monte quatre à quatre les escaliers des journaux fameux, des théâtres en vogue, de l'Académie française, et ne se repose que sous la coupole de l'Institut.
Prenez maintenant cinq années de la vie de M. Jules Lemaître, cinq petites années seulement: vous avez un homme politique, un chef de parti. "A force de sentir son épée d'académicien battre sur ses mollets, il l'a sentie battre sans sa poitrine," écrivait dernièrement M. Coppée, qui prit quelque temps part à ses luttes, avec la fidélité que Sancho Pança mettait à suivre don Quichotte.


Il est à remarquer que les transformations de M. Jules Lemaître s'accomplissent dans des périodes de plus en plus courtes. Les révolutions des planètes sont immuables; on en connait le sens et la durée. Quand M. Jules Lemaître est en marche, nul ne peut prévoir où il s'arrêtera. Sa carrière politique a commencé à Vennecy, commune du Loiret, dont il fut conseiller municipal vers 1894; il aime ce pays, où il est né et où il va se reposer à la belle saison. Il se plaît aux choses de la campagne, car il est d'un naturel tendre; pendant longtemps il affecta le scepticisme le plus léger; il est devenu plus tard un ligueur opiniâtre; mais derrière ces attitudes que lui connaît la foule, il a toujours conservé, à l'écart, pour lui seul, et peut être pour une amoureuse Dulcinée, le cœur d'un rêveur et d'un poète.
Aussi ne faut-il pas se représenter M. Jules Lemaître comme un homme de bureau, un travailleur méthodique et acharné. Il écrit à ses heures et rarement chez lui. Qu'il lui vienne, soit en course, soit en promenade, une idée neuve, intéressante, il la note aussitôt sur des calepins dont il est toujours muni. Les calepins sont petits. Ils font cependant un assez bon usage.

                                                                                                                          Jean Louis.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 25 octobre 1903.

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