mercredi 14 janvier 2015

Les noces villageoises en Bourgogne.

Les noces villageoises en Bourgogne.

En Bourgogne comme dans toutes nos autres provinces, les anciens costumes ont peu à peu changé; les villes ont copié Paris, les villages essaient de copier les villes; l'uniformité gagne de proche en proche. Mais les coutumes ne changent pas aussi vite que les modes, par qu'elles tiennent davantage au caractère, à l'humeur de la race.
Une noce de paysans bourguignons se passe encore aujourd'hui de la même manière qu'il y a un siècle. Comme ailleurs, on ne connait pas de plus grand plaisir que de se promener à travers la campagne en longue file, par couples se donnant le bras, un ménétrier en tête, dans des chemins sans ombrage, aux heures les plus chaudes d'une journée d'été. 


Comme ailleurs, on s'arrête dans les auberges que l'on rencontre, et, pour se rafraîchir, on boit du vin et on danse dans la cour, entre les charrettes inclinées sur leurs brancards et le tas de fumier sur lequel se sont réfugiées les volailles effarouchées; mais plus que partout ailleurs, la gaieté règne, elle éclate à tout moment en joyeuses saillies, en quolibets; elle s'épanche surtout en chansons, refrains populaires que tous, jeunes et vieux, connaissent, répètent à tour de rôle ou en chœur durant d'interminables repas, en y trouvant toujours le même plaisir.
Parmi ces chansons, qui sont l'accompagnement ordinaire des noces, comme de toutes les fêtes privées ou publiques, les anciens noëls tiennent une grande place. Bien que le thème d'un noël soit nécessairement la venue du Messie, il ne faut pas croire que ces sortes de chants retentissent solennellement sous la voûte des églises, au milieu de la fumée de l'encens, ou bien dans les processions, dans les réunions pieuses; sans être intentionnellement impie, ces hymnes rustiques admettent la plaisanterie la plus libre, la malice la plus risquée, et ils se chantent dans les salles de cabarets, dans l'intérieur des maisons, autour du fagot qui flambe dans la haute cheminée, tandis que le vin blanc coule dans les verres, que les boudins et les tranches de lard fument dans la poêle et sur le gril. On les entend aussi le soir en plein air, psalmodiés par des voix criardes auxquelles se mêlent les sons nasillards de la musette.
Ces vieux noëls ne sont pas seulement confiés à la mémoire de ceux qui chantent. Ils forment des recueils, les uns imprimés, les autres manuscrits, que les paysans conservent dans leurs armoires, d'où ils les tirent pour les feuilleter pendant la veillée à l'approche des cérémonies civiles ou religieuses. Ils sont, avec le paroissien, toute la bibliothèque de bien des familles villageoises, qui se les transmettent, déformés, fanés par l'usage, de génération en génération.

Magasin pittoresque, 1877.

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