jeudi 1 janvier 2015

Les miquelets et les guérillas.

Les miquelets et les guérillas.


Au commencement de la guerre de 1689, entre la France et l'Espagne, on créa dans le Roussillon, cent compagnies de fusiliers dits de montagne, pour les opposer aux miquelets chargés de défendre l'entrée des gorges de la Catalogne. Les milices du Roussillon, qui s'étaient acquises une haute réputation de bravoure, et qui réunissaient à cet avantage une connaissance parfaite du terrain, convenaient en effet mieux que d'autres troupe à ce genre de guerre. 
Ces compagnies avaient pour chef un gentilhomme du pays, choisi parmi les plus entreprenans et les plus capables de les diriger. Il avait le titre et l'autorité d'un colonel. Dans l'origine, les compagnies étaient formées d'un capitaine, d'un lieutenant, d'un brigadier, d'un sous-brigadier, d'un cornet et de vingt-cinq hommes. Leur habillement se composait d'une veste rouge, passé dans un haut-de-chausse, comme les matelots; d'un juste au corps, à l'antique, de couleur grise, à paremens et à doublure bleu, et d'un bonnet (barette) de laine de même couleur que les paremens et la doublure: ils avaient ordinairement les jambes nues et portaient des souliers de cordes (spardilles). Leur armement consistait en deux pistolets suspendus à la gauche de la ceinture, une épée (dague), et un petit fusil (escopette). Les miquelets du Roussillon, excellents tireurs, manquaient rarement leurs coups; ils étaient aussi fort habiles à la course et passaient pour résister facilement aux fatigues et aux privations. 


L'instrument dit cornet n'était autre qu'une grosse coquille ou limaçon de mer, percée en bas bout, et qui servait, comme le tambour, dans les marches, dans les combats ou à rallier les tirailleurs dispersés dans les gorges, dans les défilés et au sommet des montagnes.
Les miquelets ne servaient pas seulement comme partisans: on les employait aussi à couvrir la marche des colonnes, à flanquer les ailes de l'armée, à assurer le passage de l'artillerie et des convois de bagages ou de vivres. Ils protégeaient également les fourrageurs et servaient d'escorte aux courriers.
Ces troupes négligées et mal soldées, se dispersèrent presque en totalité après la paix de Riswich (1697) et il n'en est plus question depuis cette époque jusqu'en 1744. A cette dernière date (2 février), le ministre d'Argenson créa un nouveau corps d'infanterie sous le nom de fusilliers de montagne. Celui-ci composé de deux bataillons de six cents hommes chacun, fut réformé en 1763: il était réduit à sept cent vingt hommes depuis 1747.
Les chasseurs des montagnes et les chasseurs-bon-tireurs, créés au commencement de nos guerres de la révolution, le furent, à l'imitation des corps dont il vient d'être parlé. En 1808, lorsque Napoléon se préparait à porter ses armes en Espagne pour imposer à ces peuples un prince de sa famille, il institua aussi un corps de miquelets français, qui rendit de très grands services pendant toute la durée de la guerre. Ces derniers eurent, à peu près, l'uniforme de l'infanterie légère, approprié au genre de guerre et à la nature du terrain sur lequel ils devaient être exercés.


Avant nous l'Espagne a et ses miquelets, comme nous l'avons indiqué au commencement de cet article. Leur manière de combattre et de vivre, était nécessairement la même que les miquelets français. quand cette nation eut à défendre son territoire contre l'invasion des armées impériales, il s'y forma de tous côtés des corps peu nombreux de partisans, qui firent beaucoup de mal à nos troupes, et auxquels, vu leur peu d'importance, les Espagnols donnèrent le nom de guérillas.
Loin d'adopter les manœuvres françaises pour les mouvements en masse et les charges à la baïonnette, les Espagnols avaient sagement jugé qui si les guérillas ne pouvaient arrêter d'abord l'impétuosité des Français, elles parviendraient un jour, peut être, à les dégoûter des victoires qui finissent par leur coûter plus cher qu'à l'ennemi vaincu. Il n'était guère de province qui n'eût un chef à la tête d'une bande formidable. Abandonnés à eux-mêmes, les plus hardis et les plus entreprenants de ces chefs, s'élevaient au commandement, ou par des actions d'éclat, ou par l'influence qu'ils parvenaient à exercer sur leurs compagnons d'armes, quelque en fût d'ailleurs le motif. Livrés à leurs seules inclinations, maître de choisir le champ de bataille et le genre d'attaque et de résistance, le service militaire le plus convenable à leurs forces et à leurs habitudes était celui qu'ils adoptaient.
Parmi ces chefs, il en était beaucoup qui n'étaient connus que par leur nom de guerre, et par des actes de cruauté dont les soldats français s'étonnèrent long-temps avant que de chercher à s'en venger. Connaissant les ressources que leur offraient les habitans et celles qu'ils pouvaient, au besoin, tirer des localités d'un pays montagneux; informés à temps de l'apparition des Français et de leur nombre, ces partisans se séparaient et se réunissaient à un rendez-vous fixé, aux commandements de leurs chefs respectifs; assurés de la foi inviolable de leurs compatriotes, constamment protégés par des intelligences que la surveillance la plus exacte, de la part des Français, et les menaces les plus sévères, ne pouvaient rompre, ils restés souvent cachés des jours entiers aux portes mêmes d'une ville occupée par les Français, attendant patiemment le moment où ils seraient supérieurs en forces, et enlevaient l'objet de leurs recherches sans qu'on eût le temps de prévenir, ni d'arrêter leur attaque. Rien n'était à l'abri de leur activité et de leur audace, et malheur à qui tombait vivant entre leurs mains; ainsi, agissant à part et en petits corps, les guérillas ne cessaient d'inquiéter les armées françaises, les forçaient à doubler leur service, et à se tenir perpétuellement sur leurs gardes. Bien même qu'une telle guerre ne puisse donner immédiatement de grands résultats, elle aurait dû être entretenue très soigneusement dans toutes la Péninsule, en raison de l'extrême faiblesse des forces régulières espagnoles; mais l'amour de la patrie, qui dirigeait les Espagnols dans leurs efforts, n'était point tellement exclusif, qu'il ne laissât quelque empire à des passions moins désintéressées et moins nobles.
La réputation de quelques chefs de guérillas avait éveillé la jalousie du gouvernement, pour le maintien duquel ils se battaient; soupçonneux parce qu'il était faible, ce gouvernement craignait qu'ils ne devinssent indépendans. Hors d'état d'assurer de s'assurer d'eux par des récompenses pécuniaires, et de les arrêter quand il le jugeait convenable, il voulut au moins donner à leur ambition une direction dont il resterait maître. En conséquence, pour conserver, autant que possible, son autorité sur eux, il récompensa adroitement leurs efforts par un rang militaire, les soumettant ainsi aux généraux de l'armée régulière; des uniformes riches et brillans, un état-major personnel, et d'autres accessoires inutiles, furent ajoutés à leurs titres; le sentiment de leur importance s'accrut, et ils augmentèrent l'appareil de leurs forces dans un degré correspondant. Les principales bandes de guérillas furent bientôt composées d'artillerie, d'infanterie et de cavalerie, et du moment qu'elles eurent échangé leur activité contre de l'importance, elles devinrent une mauvaise espèce de troupes régulières. Les talens de Mina et de Longa seuls s'accrurent; ils commandèrent des armées de six à huit mille hommes avec l'habileté de tacticiens consommés. Favorisés par la configuration du terrain, et par les connaissances locales qu'ils avaient d'un pays aussi accidenté, ces chefs firent quelquefois, pendant des mois entiers,  pour tromper la poursuite de plusieurs corps français considérables, des manœuvres que n'auraient peut être pas désavoués les généraux les plus célèbres. 
A ces exception près, et elles étaient rares, la force des guérillas s'éteignit graduellement par le fait même de l'intervention du gouvernement espagnol, dont la politique méticuleuse porta un coup mortel à l'institution de ces corps francs; ils auraient probablement cessé d'exister au bout de quelques campagnes, si la guerre de la péninsule eût été prolongée plus long-temps.

Magasin universel, novembre 1834.

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