vendredi 2 janvier 2015

Hygiène du voyage.

Hygiène du voyage.


Monsieur et Madame partent en voyage!... 
Au milieu de la salle à manger, les deux malles ficelées voisinent avec les trois cartons à chapeaux indispensables à l'élégance de toute femme qui se respecte et, parmi ces préparatifs, Monsieur va, vient, bousculant les paquets, consultant à tout instant sa montre et maugréant à haute voix contre la lenteur extraordinaire des femmes.
Madame, de son côté, jette un dernier coup d’œil aux armoires, s'assure que la bonne a bien rempli les couvertures de poivre et de camphre, que le robinet d'eau est fermé et qu'elle n'a pas oublié sa poudre de riz.
Vite un dernier regard au miroir pour se rendre compte si le chapeau et la voilette sont bien équilibrés, car les voisins, aux fenêtres, guettent le départ, et l'on descend enfin l'escalier accompagné par les souhaits intéressés du concierge.
"Pourvu, grand Dieu! que l'on ne bouscule pas trop mes caisses à chapeaux!..."
Non, tout est heureusement hissé, sans trop de dégâts, sur l'impériale de la voiture et l'on arrive à la gare.
Là, trois quarts d'heure à attendre!...
Avec sa déplorable manie de toujours se presser et d'arriver une heure en avance partout, Monsieur vous oblige à patenter ridiculement parmi la bousculade des voyageurs.
Et l'on s'asseoit, déjà fatigué par les préparatifs du départ, tenant en équilibre sur ses genoux, la couverture de voyage, les ombrelles et le sac à main. Le temps semble d'une longueur exagérée; par les vasistas de la salle d'attente, arrive une épaisse fumée noire, malodorante, qui vous prend à la gorge et vous fait tousser; autour de vous, les voyageurs, crient, s'appellent à haute voix, s'agitent comme des fous. Tout le monde est fiévreux, pressé, de mauvaise humeur, mal accoutré.
Enfin, la porte s'ouvre et les voyageurs pour Rennes, Saint-Malo et Dinard se précipitent vers l'étroite porte que barre en partie l'abdomen d'un employé contrôleur grincheux.
Là, il faut accomplir le prodige de faire contrôler ses billets, en tenant sous son bras et dans ses mains, la valise, le sac, les parapluies et la couverture!...
Puis, c'est la course le long des wagons, à la recherche de deux coins inoccupés!... On fait alors des exercices de gymnastique, de souplesse incroyables! On s'installe dans un compartiment et l'on s'aperçoit, alors, que c'est le compartiment des dames seules ou des fumeurs; il faut redescendre, transporter les paquets et dénicher un autre compartiment.
Pour être seuls, on dispose savamment le long de la banquette divers objets qui donneront aux autres voyageurs l'impression que tout est retenu.
Mais ces précautions ne servent à rien; le train est encombré et les huit places du compartiment sont prises.
Monsieur ne manque pas l'occasion de faire remarquer à sa femme, son à-propos génial. C'est grâce à lui et parce qu'il a pris la précaution de presser le départ, qu'on a la chance inespérée d'avoir un coin.
Et Madame, déjà assoupie, anéantie, fatiguée d'avoir couru et pensant au sort de ses chapeaux, très probablement maltraités par les employés, répond par un oui évasif et regarde, avec inquiétude, un vieux monsieur, installé près d'elle et faisant déjà résonner l'écho du wagon de ses ronflements sonores.
Ciel! Il va falloir passer dix longues heures dans ce tête-à-tête wagnérien.
Enfin, le train démarre avec un grand bruit de ferraille et d'essoufflement, il prend bien vite l'allure modérée des tramways parisiens et l'on s'endort peu à peu, , bercé par les cahots brusques des wagons mal suspendus.
On se réveillera le lendemain matin, avec une forte migraine, le visage luisant, les narines encombrées d'une poussière noire, les membres brisés, anéantis, mais qu'importe! La nappe, bleue de la mer se profile au-dessus des coquettes villas dinardaises; l'air pur et vif du large vient apporter à nos poumons son vivifiant arôme, et les chapeaux, chose capitale, sont arrivés à bon port!...
Mais le lendemain, on s'aperçoit que des dartres, des boutons désagréables surgissent sur le visage; la propreté douteuse des draperies du wagon s'est imprimée sur nos tissus, puisque rien ne les préservait du contact immédiat des coussins. Pour dormir, la tête s'est inclinée vers l'appui de séparation des places, là, où les voyageurs posent leur chevelure et où se fait un magma de pommade, poussières et microbes transmissibles.
On voit des plaques de pelade, des teignes qui n'ont pas d'autre origine, et j'engage fortement mes lecteurs soucieux de leur santé, de préserver leur visage, leur chevelure et leurs mains du contact des coussins.
En voyage, les personnes sujettes aux migraines choisiront la place faisant vis à vis à la direction du train pour éviter l'afflux du sang  porté vers la tête, dans tous les déplacements en arrière.
Je n'ai pas insisté sur la possibilité de transmission, par les crachats, des bacilles tuberculeux; les plaques émaillées placées dans chaque compartiment le rappellent aux voyageurs. Mais je conseille à mes lecteurs de se méfier, avant tout, de la propreté douteuse des compartiments et leur souhaite bon voyage.

Les annales de la santé, 15 septembre 1911.

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