mardi 9 décembre 2014

Superstitions des nègres de la côte d'Or.

Superstitions des nègres de la côte d'Or.


La religion que suivent les nègres de la partie de l'Afrique que l'on appelle la côte d'Or est divisée en plusieurs sectes. Il n'y a point de ville, de village, ni même de famille qui ne présente des différences dans ses opinions. Tous les nègres de la côte d'Or croient en un seul Dieu, auquel ils attribuent la création du monde et de tout ce qui existe; mais cette croyance est obscure et mal conçue. Quand on les interroge sur Dieu, ils répondent qu'il est noir et méchant, qu'il prend plaisir à leur causer mille sortes de tourmens, au lieu que celui des Européens est un Dieu très bon, puisqu'il les traite comme ses enfans. Ils sont dans l'usage de bannir tous les ans le diable de leurs villes, avec une abondance de cérémonies qui ont leurs lois et leurs saisons réglées.
Il serait difficile de rendre un compte exact de leurs idées sur la création du genre humain. Le plus grand nombre croit que les hommes furent créés par une araignée nommée anansio. Ceux qui regardent Dieu comme l'unique créateur soutiennent que, dans l'origine, il créa des blancs et des nègres; qu'après avoir considéré son ouvrage, il fit deux présens à ces deux espèces de créature, l'or et la connaissance des arts; que les nègres ayant eu la liberté de choisir les premiers, se déterminèrent pour l'or, et laissèrent aux blancs les arts, la lecture et l'écriture; que Dieu consentit à leur choix; mais qu'irrité par leur avarice, il déclara qu'ils seraient les esclaves des blancs, sans aucune espérance de voir changer leur condition.
Sur toute la côte d'Or, il n'y a que le canton d'Acra où les images et les statues sont honorées d'un culte, mais les autres habitans ont des fétiches qui leur tiennent lieu de ces idoles.


Le mot de feitisso ou fétiche est portugais dans son origine, et signifie proprement charme ou amulette. On ignore quand les nègres ont commencé à l'emprunter; mais dans leur langue, c'est bossum qui signifie Dieu et chose divine, quoique plusieurs usent aussi de bassefo pour exprimer la même chose. Fétiche est ordinairement employé dans un sens religieux. Tout ce qui sert à l'honneur de la divinité prend le même nom, de sorte qu'il n'est pas toujours facile de distinguer leurs idoles des instrumens de leur culte. Les brins d'or qu'ils portent pour ornemens, leurs parures de corail et d'ivoire, sont autant de fétiches.
Tous les voyageurs conviennent que ces objets de vénération n'ont pas de forme déterminée. Un os de volaille ou de poisson, un caillou, une plume, enfin les moindres bagatelles prennent la qualité de fétiches, suivant le caprice de chaque nègre. Le nombre n'en est pas mieux réglé. C'est ordinairement deux, trois ou plus. Tous les nègres en portent un sur eux ou dans leur canot; le reste demeure dans leurs cabanes et passe de père en fils, comme un héritage, avec un respect proportionné aux services que la famille croit en avoir reçus.
Ils les achètent à grand prix de leurs prêtres,  qui feignent de les avoir trouvés sous les arbres fétiches. Pour la sûreté de leurs maisons, ils ont à leur porte une sorte de fétiche qui ressemble aux crochets dont on se sert en Europe pour attirer les branches des arbres dont on veut cueillir les fruits. C'est l'ouvrage des prêtres, qui les mettent pendant quelque temps sur une pierre aussi ancienne, disent-ils que le monde, et qui les vendent au peuple après cette consécration. Dans les disgrâces ou les chagrins, un nègre s'adresse aux prêtres pour obtenir un nouveau fétiche. Il en reçoit un petit morceau de graisse ou de suif, couronné de deux ou trois plumes de perroquet. Le gendre d'un de leurs rois avait pour fétiche la tête d'un singe qu'il portait continuellement sur lui.
Chaque nègre s'abstient de quelque liqueur ou de quelque sorte d'aliment en l'honneur de son fétiche. Cet engagement se forme au temps du mariage, et s'observe avec tant de scrupule, que ceux qui aurait la faiblesse de le violer se croiraient menacés d'une mort certaine. C'est pour cette raison qu'on voit les uns obstinés à ne pas manger de bœuf, les autres à refuser de la chair de chèvre, de la volaille, du vin de palmier, de l'eau-de-vie, comme si leur vie en dépendait.
Outre les fétiches domestiques et personnels, les habitans de la côte d'Or, comme ceux des contrées supérieures, en ont de publics, qui passent pour les protecteurs du pays ou du canton. C'est quelquefois une montagne, un arbre ou un rocher, quelquefois un poisson ou un oiseau. Ces fétiches tutélaires prennent un caractère de divinité pour toute la nation. Un nègre qui aurait tué par un accident, le poisson ou l'oiseau fétiche, serait assez puni par l'excès de son malheur; un Européen qui aurait commis le même sacrilège, verrait sa vie exposée au dernier danger.
Ils s'imaginent que les plus hautes montagnes, celles d'où ils voient partir les éclairs sont la résidence de leurs dieux. Ils y portent des offrandes de riz, de millet, de maïs, de pain, de vin, d'huile et de fruits, qu'ils laissent respectueusement au pied de ces montagnes.
Les pierres fétiches ressemblent aux bornes qui sont en usage dans quelques parties de l'Europe pour marquer la distinction des champs. Dans l'opinion des nègres, leur culte est aussi ancien que le monde.
Ils craignent beaucoup de jurer par les fétiches, et suivant l'opinion généralement établie, il est impossible qu'un parjure survive d'une heure à son crime. Lorsqu'il est question de quelque engagement d'importance, celui qui a le plus d'intérêt à l'observation du traité, demande qu'il soit confirmé par le fétiche. En avalant la liqueur qui sert à cette cérémonie, les parties y joignent d'affreuses imprécations contre eux-mêmes, s'il leur arrive de violer leur engagement. Il ne se fait aucun contrat qui ne soit accompagné de cette redoutable formalité.
Après les fétiches, rien n'inspire tant de frayeur aux nègres que le tonnerre et les éclairs. Dans la saison des orages, ils tiennent leurs portes soigneusement fermées; et leur surprise paraît extrême de voir marcher des Européens dans les rues sans aucune espèce d'inquiétude. Ils croient que plusieurs hommes de leur pays, dont les noms sont demeurés dans leur mémoire, ont été enlevés par les fétiches au milieu d'une tempête, et qu'après ce malheur ou ce châtiment, on n'a jamais entendu parler d'eux. Leur crainte va si loin, qu'elle les ramène dans leur cabane pendant la pluie et le vent. Au bruit du tonnerre, on les voit lever les yeux et les mains vers le ciel, où ils savent que le Dieu des Européens fait sa résidence.

Magasin universel, avril 1835.

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