mercredi 10 décembre 2014

La digestion par le chant.

La digestion par le chant.


L'humanité souffrait déjà de mille et un préjugés; notre époque a vu naître le mille deuxième: la suppression du chant après les repas. La mode, dit Culina, hélas a tué cet ancien usage, en déclarant que: "chanter après les repas" était un exercice nuisible pour la digestion et la santé. 
Que de fois, nos grand'mères, que nous avons tous aimées, nous ont parlé du temps jadis, le bon temps!, où le joyeux festin était toujours suivi de joyeux refrains? La vieille chanson française, tour à tour bouffonne, amoureuse, satirique et toujours spirituelle, naquit de cette habitude de chanter en vidant son dernier verre. A l'heure actuelle la chanson honnête et saine se meurt. Elle a fait place à une sœur bâtarde, la chanson de café-concert dont l'ineptie égale la crudité. Si monsieur veut se distraire pour faire passer une migraine récoltée avec le souci des affaires de la journée, il quitte son intérieur et va passer sa soirée au café-concert où il entend une série d'inconvenances, toujours les mêmes, car le thème ne varie pas. Que fait alors "madame"; elle couche les enfants, puis s'attache à une dentelle au crochet comme un serf à la glèbe, ruminant de très vilaines choses sur l'inconstance de son mari qui la laisse au logis seule, triste et morose, pour aller digérer de son côté dans un endroit où il ne la mène pas, car ce n'est pas la place d'une "honnête femme", dit-il.
Comment ce mari, si crampon pendant la lune de miel, s'est-il transformé en un déserteur quotidien?.... Mesdames, faites votre "méa culpa": votre intérieur est triste, ennuyeux; votre époux "s'embête" chez lui; il y digère mal!
Pour garder la brebis au bercail, il est pourtant un moyen bien simple et à portée: chantez, faites chanter mari et enfants; organisez de petites soirées familiales entre vous; que les soli, que les duos, que les trios, que les chœurs envahissent votre home et, tout le monde participera à la fête, s'amusera, digérera, dormira bien, se portera mieux et trouvera la tâche du lendemain plus aisée, car le chant n'est pas seulement un art d'agrément, c'est encore un art hygiénique, essentiellement salutaire. Par lui, nous respirons, nous digérons, nous assimilons, nous éliminons les mauvais microbes, nous éloignons le médecin, nous chassons les drogues pharmaceutiques. Le chant est une source d'économie et de joie parce que c'est une source d'air.
Mathusalem chantait après chaque repas les louanges du Seigneur: il vécut jusqu'à l'âge que vous savez... Gargantua absorbait beaucoup et célébrait ensuite d'une voix tonitruante les bienfaits du vin et de la table... pour les faire glisser...
Si le chant fait digérer, la raison en est toute scientifique et rationnelle.
Pour chanter vous devez ouvrir un grand soufflet, le poumon; abaisser le diaphragme, muscle situé à la base. Dans le conduit se fait un puissant appel d'air. L'air contient de l'oxygène nécessaire à la combustion des aliments dans l'estomac, comme il est nécessaire à la combustion du charbon dans une salamandre. La présence du bon air vivifie le sang, en brûle les résidus. Le mauvais gaz (acide carbonique) est renvoyé à son tour par la bouche avec les sons émis. Vous chantez, vous respirez, vous brûlez: le tirage se fait dans le poêle humain. Sans appel d'air, votre cheminée interne ne tirerait pas, tel un poêle bourré de combustible à qui l'air manquerait.
Faites donc tous vos efforts pour que votre mari et vos enfants exécutent cette gymnastique pulmonaire sans qu'ils s'en doutent. L'attrait de la musique, le charme des paroles, feront disparaître l'ennui de ce travail mécanique mais essentiel du poumon.
Plus vous vous serez laisser aller au péché de gourmandise, plus votre digestion sera lourde et difficile, plus vous serez congestionné et plus vous devrez chanter.
Le poumon est un soufflet paresseux: il a tendance à s'ouvrir le moins possible, si on ne le force pas à travailler. Il prendrait facilement l'habitude de ne pas se développer, de réduire sa dose d'air au minimum, de se contenter d'une provision superficielle, insuffisante à l'économie générale de notre individu. C'est alors que commence l'anémie. Le sang s'appauvrit de plus en plus, le corps perd ses forces, la phtisie, le neurasthénie nous guettent et la suralimentation, les œufs, la viande, le fer, les toniques ne nous servent d'aucun secours car le remède n'est pas chez le marchand de comestibles, ni chez le pharmacien, il est en vous, dans votre façon de respirer. Respirez donc pour digérer et chantez pour respirer. C'est le seul remède efficace.
Prenez modèle sur les artistes lyriques qui ne chantent pas parce qu'ils se portent bien, mais qui se portent bien et vivent vieux parce qu'ils chantent après leur repas.
Sachez aussi qu'il n'est pas nécessaire de changer votre régime alimentaire. Si votre voix est bien posée sur le timbre, elle sera toujours jolie, quels que soient les aliments absorbés par votre estomac. La salade, les purées, les noix ne passent pas par le larynx, ils passent par le tube digestif et n'empêchent pas les bons chanteur de chanter. Ce sont les gens qui chantent de gorge, qui font des efforts comme un athlète soulevant des poids qui se trouvent gênés par la moindre chose. Le vrai talent chante à tout venant, comme les oiseaux et les cigales; c'est à cela que l'on reconnait ceux qui savent réellement chanter: ils sont toujours prêts, sans se faire prier. Ne changez donc rien à vos habitudes, restez végétarien si vous êtes végétarien, mangez de la viande si vous l'aimez; buvez du vin, de l'eau, du lait, de la bière ou du champagne: tout cela n'a aucune influence sur la voix, tandis qu'elle sera à la fois le fortifiant et le divertissement. Jeunes filles, petites mamans, grand'mères, qui aimez à grouper la nitée autour de vous, ne laissez jamais filtrer l'ennui à travers vos portes après dîner. Éclairez votre maison par des fleurs, de la lumière et des chansons. Chantez, chantez, et faites chanter!...

Les annales de la santé, 15 mai 1910.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire