dimanche 30 novembre 2014

Chronique du Journal du Dimanche.

Chronique.


On croit généralement que les mendiants richards sont des types qui n'existent que dans les romans; se priver de tout, souffrir le froid et la faim quand on pourrait largement satisfaire ses besoins, ne semble pas dans la nature humaine.
Pourtant il vient de mourir dans la rue Guisarde, quartier Saint-Sulpice, une malheureuse créature plus qu'octogénaire, qui avait toujours été l'objet de la commisération publique, et qui laisse plus de quatre vingt mille francs de fortune.
Elle vivait seule, perchée comme un hibou dans une chambre haute. Jamais on ne vit la mansarde éclairée de la moindre lumière, jamais la cheminée ne laissa exhaler la moindre fumée. L'habitante de ce taudis n'en sortait que pour traîner ses haillons de porte en porte, recevoir parfois un sou ou un morceau de pain, dont elle remerciait à peine, car elle n'avait point de regard, ne souriait jamais, ne parlait à personne, n'aimait rien au monde, pas même le chat ou le serin qui égayent parfois la demeure du pauvre.
Enfin, lorsque dernièrement elle est venue à expirer sur la paille, et qu'on a voulu débarrasser son misérable taudis des ordures qui l'encombraient, un grand panier d'osier qu'on cherchait à enlever a offert de la résistance; il était scellé intérieurement au carreau. Sous une épaisse couche de chiffons, on a trouvé là des pièces d'or et d'argent de tous les régimes, depuis les écus de trois et six francs, disparus depuis si longtemps, jusqu'au napoléons modernes, puis une quantité de billet de banque.
Ces sommes, qui ont été versées à la caisse des dépôts et consignations, attestent la vérité de ces étonnantes fortunes cachées quelquefois sous les apparence d'une profonde misère.
Un malheureux événement a mis l'autre soir en émoi les promeneurs des Champs-Elysées. Une jeune virtuose de l'un des cafés chantants (le café Morel) , s'étant trop approchée de la rampe, a eu sa robe de gaze tout à coup livrée aux flammes, et a aussitôt été couverte d'affreuses brûlures qui mettent sa vie en danger.
Il est à remarquer que l'ampleur actuelle des robes rend ces accidents infiniment plus fréquents, ce qui devrait inspirer quelque prudence aux femmes sur ce sujet.
Aux environs de la ville de Mauléon, il vient de se commettre un crime qui a eu le plus étrange résultat.
En plein jour, entre trois et cinq heures du soir, deux femmes, la nommée Jeannette Canton et sa servante Marle, avaient été assassinées dans leur maison. Le procureur impérial, le commissaire de police et un membre du conseil municipal, nommé Arnaud, se transportèrent sur les lieux du crime.
C'était une petite maison dans un lieu profondément désert.
Le procureur impérial entra le premier. En passant le seuil, il heurta le cadavre de Jeanne Canton, étendu sur le plancher.
Arnaud, le conseiller municipal était à la droite du magistrat. En voyant ce corps sanglant et défiguré, le malheureux tomba la face contre terre et ne se releva plus. La terreur l'avait frappé d'une apoplexie foudroyante.
Les deux femmes dont la mort a entraîné un tel événement avaient été égorgées chez elles par des malfaiteurs, qui avaient ensuite dévalisés la maison.
Les assassins ont disparu dans les montagnes, et la justice n'a pu encore que constater leur crime.
Lorsque trente degrés au soleil vous rayonnent sur la tête, il fait soif, disaient les habitués de cabaret. Ils vont donc boire chez le nommé Lelièvre, près des fortifications d'Issy. Celui-ci leur verse de la bière, quoiqu'il n'ait pas le droit de tenir un débit de boisson.
L'autre jour, le brigadier de l'endroit se fâche de cette contravention. Lelièvre l'envoie promener; mais c'est lui, le brigadier, qui prend le marchand au collet et l'amène devant la police correctionnelle.
Lelièvre rit, car il est bien sur de son affaire. Il n'a pas de permission de donner à boire, c'est vrai, mais il n'a vendu ni vin, ni eau-de-vie, donc il n'est pas en contravention.
Aussi, la bière est-elle une boisson soumise à la loi? Telle est la question que l'on donne à juger au public en attendant que le tribunal en décide.

                                                                                                               Paul de Couder.

Journal du dimanche, 16 août 1857.

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