lundi 20 octobre 2014

Tableau de Paris.

Tableau de Paris.






L'ombre s'évapore, 
Et déjà l'aurore 
De ses rayons dore 
Les toits d'alentour;
Les lampes pâlissent, 
Les maisons blanchissent, 
Les marchés s'emplissent: 
On a vu le jour.

De la Villette, 
Dans sa charrette, 
Suzon brouette
Ses fleurs sur le quai;
Et de Vincennes
Gros-Pierre amène 
Ses fruits que traîne
Un âne efflanqué.

Déjà l'épicière, 
Déjà la fruitière,
Déjà l'écaillère
Saute à bas du lit.
L'ouvrier travaille,
L'écrivain rimaille,
Le fainéant baille,
Et le savant lit.

J'entends Javotte
Portant sa hotte,
Crier: Carotte,
Panais et chou-fleur!
Perçant et grêle,
Son cri se mêle
A la voix frêle
Du noir ramoneur.


Gentille, accorte,
Devant ma porte
Perrette apporte
Son lait encor chaud;
Et la portière, 
Sous la gouttière, 
Pend la volière
De Dame Margot.

Le joueur avide,
La mine livide,
Et la bourse vide,
Rentre en fulminant;
Et, sur son passage,
L'ivrogne plus sage, 
Rêvant son breuvage,
Ronfle en fredonnant.

Tout chez Hortense,
Est en cadence;
On chante, danse,
Joue, et cœtera...
Et sur la pierre
Un pauvre hère,
La nuit entière,
Souffrit et pleura.

Le malade sonne,
Afin qu'on lui donne
La drogue qu'ordonne
Son vieux médecin.
Tandis que sa belle,
Que l'amour appelle,
Au plaisir fidèle,
Feint d'aller au bain.




Quand vers Cythère
La solitaire,
Avec mystère,
Dirige ses pas,
La diligence
Part pour Mayence
Bordeaux, Florence,
Ou les Pays-Bas.

"Adieu donc, mon père;
Adieu donc, mon frère;
Adieu donc, ma mère.
Adieu, mes petits."
Les chevaux hennissent,
Les fouets retentissent,
Les vitres frémissent:
Les voilà partis.

Dans chaque rue
Plus parcourue, 
La foule accrue
Grossit tout à coup:
Grands, valetaille,
Vieillards, marmaille,
Bourgeois, canaille,
Abondent partout.

Ah! quelle cohue!
Ma tête est perdue,
Moulue et fendue;
Où donc me cacher?
Jamais mon oreille
N'eut frayeur pareille.
Tout Paris s'éveille...
Allons nous coucher.




Journal pour tous, 19 octobre 1864.



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