lundi 6 octobre 2014

Port-Say (Algérie).

Port-Say (Algérie).


Nous avons dit, en parlant de Nemours, que Port-Say, sur la frontière marocaine, était devenu, en quelques années seulement, un port commercial bien outillé et un centre maritime important. Nous avons eu la bonne fortune de pouvoir nous procurer des renseignements très précis sur cette intéressante entreprise; ils nous ont été fournis par le créateur lui-même du port, M. Louis Say, lieutenant de vaisseau de réserve.
A l'emplacement où se trouve aujourd'hui Port-Say, il y avait seulement, en 1900, quelques misérables gourbis indigènes; la plage de Kiss était complètement déserte. Tout commerce français, depuis 14 ans, avait disparu de cette région, abandonnée également par les négociants algériens à la suite de conflits survenus avec les Marocains. Le pays était malsain à cause de ses marais; plusieurs assassinats de colons français le faisaient passer pour dangereux. 
Lorsque M. Louis Say vint s'installer sur la plage de Kiss, il n'y trouva que trois barques montées par des marins marocains appelés Bocoyas, que l'administration algérienne avait expulsés d'Oran, après les incidents de la capture d'une goélette marseillaise, pillée sur la côte de Kiss en 1898. Le jeune officier de marine, construisit sa cabane de chaume, sur les dunes, à côté des gourbis des bergers arabes. Il se mit tout de suite à l'oeuvre, sans perdre un instant, et, avec sa ténacité de Breton, il ne se laissa rebuter par aucune difficulté; il poursuivit, au contraire, son oeuvre avec ténacité, si bien que, en 7 années, cet emplacement, jadis désert, de la plage du Kiss, est devenu un port important. Sur ce point, un des plus pittoresques de la frontière occidentale de l'Algérie, M. Louis Say a fondé une ville déjà florissante, appelée à un grand avenir commercial. Port-Say est, aujourd'hui, un joli village français, dont les soixante maisons, magasins, docks et ateliers abritent 350 habitants, parmi lesquels il faut compter 9 fonctionnaires et 24 négociants européens. Le camp du Caroubier, situé à l'entrée de la commune, donne asile à une garnison de 200 hommes.


Nous trouvons aujourd'hui, au milieu de cette petite ville, rapidement éclose, tous les rouages administratifs nécessaires au fonctionnement et au développement progressif d'une cité moderne: la douane, le télégraphe, la poste et une école mixte créée par l'Académie d'Oran. Un bureau arabe, annexe de celui de Marnia, a été installé, en janvier 1907, au camp du Caroubier par ordre du colonel Reibell, commandant supérieur du cercle de Marnia.
L'industrie est représentée, dans cette intéressante petite ville, par une briqueterie, deux boulangeries, des épiceries et un moulin. Elle se développera; car la sécurité est devenue complète à cet endroit, les marais ont disparus et l'eau douce est distribuée en abondance par des puits à galerie et des machines élévatoires.
Des réservoirs ont été construits pour l'alimentation des maisons et l'irrigation des jardins; des conduites desservent des abreuvoirs pour le bétail et des lavoirs à eau courante. 
Le port-abri a été construit à un bon emplacement; il compte 500 mètres de jetées en maçonnerie. Depuis août 1901, il a été embarqué plus de 200.000 quintaux de blé ou d'orge, représentant une valeur totale de 2 millions de francs de céréales. L'année dernière, c'est à dire 5 années après sa fondation, Port-Say a été visité par 146 navires représentant ensemble près de 23.000 tonneaux. Ces chiffres indiquent l'état florissant de cette petite mais très remarquable ville maritime.


Cette vitalité et cette progression rapide sont dues à la sagacité et à la force de volonté de M. Louis Say. Ce dernier sut comprendre, tout de suite, le parti qu'il était possible de tirer de la situation géographique et agricole de ce point de la frontière marocaine; il trouva l'énergie nécessaire pour vaincre les obstacles de toutes sortes, qui se dressèrent, au début, devant son entreprise naissante. Nous devons à cet officier de marine toutes nos félicitations. Les initiatives de ce genre méritent des éloges, puisqu'elles contribuent à l'expansion de l'influence française.
La création de Port-Say prend une importance capitale, après l'occupation militaire d'Oudjda, puisque, depuis la création de ce port, la ville marocaine n'a cessé de le considérer comme un excellent débouché pour son commerce. Port-Say est, en effet, le port naturel d'Oudjda, dont il n'est séparé que par 50 km de routes, traversant, en plaine, les deux vallées du Kiss et de l'Isly.
Il nous faut revenir sur la position géographique de Port-Say et la richesse agricole et minière du pays qui l'environne. Citons, d'abord, les plaines des Oulad-Mansour, des Triffas et des Kebdanas, qui, merveilleuses de fécondité, s'étendent sur 40.000 hectares, bordées par trois massifs montagneux que peuple une population de 30.000 Kabyles. Deux rivières arrosent la région: l'oued Kiss et la Melonya, qui ne tarissent jamais. Un troisième cours d'eau contribue avec les deux autres à la fertilité du pays, il s'agit d'une rivière souterraine, d'un débit très important. M. Say la découvrit, en 1902, en forant un puits au pied de la montagne des Caroubiers qui domine Port-Say.
Les mines de la région complètent  un ensemble fort important de richesses naturelles; elles contribuent également à donner au nouveau port français une valeur commerciale très réelle. A des distances variant entre 30 et 90 km, on trouve plusieurs exploitations minières, qui donnent du cuivre, du plomb argentifère, de l'antimoine, du zinc et du fer. Plus près même, à 4 km de Port-Say, se rencontrent les gisements d'oxydes de fer de Chaïb-Rasso.
Il y aurait encore beaucoup de choses intéressantes à dire sur cette ville, qu'une baguette de fée semble avoir fait éclore, que la volonté d'un officier de marine française a, en réalité, créée. Nous ne pouvons rentrer dans les questions de détails qui nous entraîneraient trop loin, et, après la rapide description que nous avons faite, il nous faut nous contenter de résumer et de conclure.
Les richesses naturelles, minières et agricoles, la proximité d'Oudjda, le voisinage de plaines irrigables et des gisements de fer et de zinc assurent le développement de ce port déjà florissant, tout autour duquel viendront certainement, dans un avenir peu lointain, se créer des centres nouveaux de colonisation européennes et de culture intensive.
Le gouvernement général de l'Algérie, répondant à un sentiment patriotique, a dépensé tout récemment près d'un million de francs pour construire des routes destinées à mettre Port-Say en relation directe avec Marnia, Oudjda et les mine de Ghar-Rouban. Lorsque d'autres routes seront ouvertes dans les vallées du Kiss et de la Melonya, qui s'enfoncent droit au Sud, Poer-Say occupera une situation unique et privilégiée comme porte de sortie de toute la région marocaine, si commerçante, dont Oudjda est le centre marchand.

                                                                                                          Will darvillé.

La Nature, revue des sciences, deuxième semestre 1907.

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