vendredi 31 octobre 2014

Les confréries de charité en Normandie.

Les confréries de charité en Normandie.


Les confréries de charité, ainsi que le disent la plupart de leurs statuts, ont pour but principal "de rendre les derniers devoirs à tous les chrétiens qui passe de vie à trépas", c'est à dire de déposer les morts dans le cercueil, de porter le cercueil de la maison mortuaire à l'église, puis de l'église au cimetière, et de le déposer ensuite dans la fosse; mais ce n'est pas là le seul but; le clergé, qui a présidé à cette institution, ou plutôt qui l'a prise sous son patronage, a voulu aussi la faire servir à la pompe du culte, soit dans les processions, soit pendant l'office divin, et l'esprit de fraternité en a fait, du moins à l'origine, un moyen d'assistance mutuelle.
C'est ainsi qu'on lit dans un bon nombre d'anciens statuts des clauses de ce genre: "En cas qu'un frère tombe en pauvreté ou deschié de son état sans qu'il provigne de sa faulte, chascun des aultres luy aumosnera chacune sepmaine.... ou luy prestera chascune année (tant de) livres ou sols parisis que il rendra se peult revenir sus en ses affaires."
Il est vrai que quelques confrérie, comme celle de Notre-Dame de Louviers, par exemple, comprenant qu'une pareille obligation pouvait en certain cas devenir très-lourde, avaient la précaution de stipuler "qu'aucune personne n'y sera reçue qui ne puisse gaigner sa vie sans mandier, ni qui ne pusse payer ses chevaiges (1) deument comme il appartient."
Toutefois, si l'obligation se s'assister mutuellement en argent est tombée bien vite en désuétude, il est resté l'obligation pour les frères de faire leur service gratuitement, en ce sens qu'ils ne peuvent rien recevoir pour leur compte personnel, et que tout ce qui est perçu des familles ou donné par elles ne peut profiter qu'à le confrérie. Il est vrai qu'en récompense du service dont ils s'acquittent ainsi gratuitement pendant un temps déterminé, les frères obtiennent pour eux, ou pour les membres de leur famille qu'ils veulent en faire profiter à leur place, l'avantage d'être inhumé gratuitement avec les plus grands honneurs et les plus beaux ornements. 
Tout frère qui a accompli ses fonctions et a été frère servant, suivant l'expression consacrée, pendant le temps voulu, a droit à un enterrement de première classe, "avec messe à diacre et à sous-diacre", disent certains statuts, "saultiez et services anniversaires sonnés à toute volée." Celui qui a acquis pour lui-même ces honneurs funèbres peut en faire jouir aussi les membres les plus chers de sa famille, sa mère, sa femme ou sa sœur, et leur passer son service, sauf à recommencer pour lui-même et à acheter par de nouvelles corvées le droit de participer à ces prières et à ces honneurs.
Ces avantages, avec les banquets périodiques que les membres de la confrérie se donnent plusieurs fois chaque année; ces plantureux repas de frairies et les copieuses libations dont leurs fonctions sont trop souvent l'occasion forment le principal attrait de ces confréries et contribuent le plus à leur recrutement.
Tout, en effet, est prétexte à festin et à libation pour les frères de charité. l'élection des dignitaires de la confrérie, la reddition des comptes, la fête du saint patron de la compagnie, jusqu'aux services funèbres eux-mêmes et aux inhumations, donnent lieu à des banquets où les règles de la sobriété et de la décence sont rarement respectées.
Les repas qui suivent ordinairement les inhumations dans les campagnes, et qui portent le nom de "records", sont fournis généralement par la famille du défunt; les autres repas de corps sont faits tantôt aux frais de la communauté, tantôt aux frais particuliers des convives qui payent leur écot. Les femmes des frères sont quelquefois admises à ces repas.
"Item, lesdits chapellains, eschevyn, prevost et frères serviteurs, disent les statuts de la charité de Surville près de Lisieux, seront subgects: assembler une fois l'an en l'ostel du dit eschevyn ou ailleurs où il lui plaira, le jour et feste  de Saint-Martin d'estey, et dîner ensemble avecque leurs femmes se faire le veullent, pour par lesdits eschevins, prevost et frères veoir le payement faict par le receveur audit chapellain, distribution de deniers, estat, gouvernement, valleur et entremise de ladite charité, etc... et sera subgect ledit eschevin faire et abiller le disner aux despens desdits chapellains et frères serviteurs et payeront chacun leur escot."
Seront subgect à dîner est une agréable expression, et les frères de charité devaient trouver l'assujettissement très-doux.
A l'origine, les frères faisaient eux-mêmes tous distinctement leur service; avec le temps, l'usage s'est introduit pour les gens aisés de se faire remplacer (sauf pour le cas d'inhumation d'un frère) par un suppléant salarié qui porte le nom de commis.
Cet usage a beaucoup contribué à jeter du discrédit sur les confréries de charité, qui ont alors, par condescendance ou par intérêt, admis dans leur sein, en qualité de commis, des gens malfamés et plus ou moins tarés.
Le personnel de chaque confrérie se compose le plus ordinairement de quinze membres, savoir:
D'un maître, chef ou échevin;
D'un prevost (2) ou lieutenant chargé plus spécialement des deniers;
De douze frères servants;
Puis, d'un sonneur, tintenellier, cliqueteux ou cloqueteux;
Et d'un jeune clerc.
Il faut ajouter le curé, qui en fait toujours partie sous le titre de chapelain de la charité, et qui en est le président de droit.
Quelquefois le nombre des frères servants est porté à quinze, jamais au delà de dix-huit.
Le temps du service de l'échevin et du prévôt est d'un an; celui des frères de deux ans.
Après l'expiration de ses fonctions, l'échevin prend le nom d'antique.
Les antiques sont appelés, en certaines circonstances importantes, à prendre part aux délibérations de la confrérie. Les dignitaires, l'échevin et le prévôt sont choisis à l'élection, suivant le principe général qui dominait au moyen âge dans les institutions communales et les corporations, et qui a passé dans notre société démocratique.

(1) Redevances.
(2) Le nom de prevost est emprunté à la hierarchie monacale. C'était le nom qu'on donnait, au moyen âge, au lieutenant ou second de l'abbé dans les couvents soumis à la règle de Saint-Benoit. On fait venir ce mot de prœpositus, prœpost, prœvost.


Le magasin pittoresque, mars 1876.

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