vendredi 17 octobre 2014

Le casino d'Arcachon.

Le casino d'Arcachon.

Ce casino s'élève sur une haute dune fertilisée, dans un beau jardin, à la lisière d'une forêt immense, devant l'un des plus vastes bassins que l'Océan se soit creusés sur les rivages de France.
Notre dessin, qui indique assez l'ordonnancement et le style de l'édifice, ne peut donner aucune idée du riant éclat de ses couleurs où dominent, si notre mémoire est fidèle, le rouge, le jaune et l'or. 



De loin comme de près, ce château aérien a un aire de fête, et l'on comprend de suite sa destination. De larges avenues, des rampes faciles, conduisent au rez-de-chaussée, où sont les rafraîchissements, les divans, les tables de whist, les billards; de là, on monte par cinq grands escaliers au premier étage, entouré de galerie à arcature, et on entre dans la salle des bals et des concerts qu'avoisinent des salons de conversation et de lecture, mais qui, à elle seule, est, à vrai dire, le casino presque entier. Grande, de forme élégante, richement ornée d'arabesques aux couleurs variées, elle est éclairée, le jour par la douce lumière qu'y versent discrètement deux hautes coupoles en verre dépoli, la nuit par les feux d'un double cercle de gaz. Cette salle a déjà retenti bien des fois d'accord harmonieux, de beaux chants, d'applaudissements enthousiastes donnés à de célèbres artistes, et de tous les légers bruits de la danse. De la terrasse du nord, où vient expirer la brise de mer, le regard embrasse un admirable panorama, la forêt, la ville naissante, au delà le bassin qui, à droite et à gauche, s'étend à perte de vue.
Il est difficile de prévoir ce que sera dans six ou huit ans la ville d'Arcachon; on ne la trouvera peut être alors que trop populeuse: Bordeaux tend à s'y déverser avec excès dans la belle saison. Aujourd'hui, elle intéresse, comme toutes les créations de ce genre, par le désordre pittoresque et le libre et rapide accroissement de ses constructions. Deux files de maisons très-diverses de dimensions et de formes, luxueuses ou modestes, se sont emparées en toute hâte du bord du bassin sur une ligne de plusieurs kilomètres: c'est la première rue; les omnibus du chemin de fer qui mènent en une heure et demie d'Arcachon à Bordeaux la parcourent en appelant les voyageurs à son de trompe; ce son un peu plaintif et sauvage semble un dernier écho de la vieille solitude des landes qui recule et fuit devant les envahisseurs du monde nouveau.
En deçà, on n'aperçoit guère encore, au milieu des bouquets de pins, que des groupes séparés d'habitations, des toits bleus, des murs roses, des galeries de bois ornées, des ébauches de marchés, des boutiques en planches improvisées, des jeux campés le long des sentiers comme aux jours de fête; partout les ouvriers se hâtent, les chariots circulent; de petites voitures élégantes aux pavillons chinois, des troupes joyeuse d'amazones et de cavaliers, passent rapidement et disparaissent dans l'épaisseur de la forêt, dont les abords se peuplent de jolis chalets qu'on habite surtout aux mois d'hiver.
Le bassin ou, si l'on veut, le lac salé, n'est pas moins animé: de toute part des baigneurs; les barques nombreuses vont et viennent en tous sens: celles-ci conduisent aux parcs aux huîtres, au phare, à l'entrée de l'Océan ou à quelque site pittoresque des côtes; celles-là partent pour la pêche du royan . 
Le soir, des feux errants projettent leurs sillons lumineux à la surface de l'eau: ce sont, comme dans le golfe de Naples, les flambeaux des pêcheurs de nuit. Tout ce spectacle, à une journée de Paris, a quelque chose d'imprévu et d'étrange.
Puis on peut se prendre à songer que la route de fer qui transporte à Bayonne est toute voisine, et de la terrasse du casino il arrive, sans doute, à plus d'une imagination de voler à tire-d'aile vers Séville ou Madrid.

Le magasin pittoresque, 1865.

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