mardi 7 octobre 2014

Landiers et cuisines au moyen âge.

Landiers et cuisines au moyen âge.

Il existe actuellement bien peu de ces grands chenets appelés landiers qui garnissaient les vastes cheminées du moyen âge. La plupart, vendus comme de vielles ferrailles, ont passé de nouveau à la forge, sans que l'on ait eu égard à la beauté de la composition et du travail qui faisaient de quelques-uns des pièces très-remarquables, dignes d'être recherchées de nos jours par les amateurs, qui les placent dans leurs collections à côté des œuvres d'art, et de servir de modèle aux meilleurs ouvriers.
En offrant ici le dessin d'une paire de landiers de la fin du moyen âge, que l'on a pu voir au Musée rétrospectif exposé en 1865 au palais de l'Industrie, nous y joignons quelques lignes empruntées aux excellents Dictionnaires de l'architecture française et du mobilier français de M. Viollet le Duc, qui en sont le plus clair et le plus complet commentaire.



"Les cheminées, dans les habitations du moyen âge, étaient larges et hautes; généralement un homme pouvait y rentrer debout sans se baisser, et dix à douze personnes se plaçaient facilement autour de l'âtre. Il fallait à l'intérieur de ces cheminées de forts chenets en fer, désignés alors sous le nom de landiers, pour supporter les bûches énormes que l'on jetait sur le foyer et les empêcher de rouler dans l'appartement. Il y avait les landiers de cuisine et les landiers d'appartement; les premiers étaient assez compliqués comme forme, car ils étaient destinés à plusieurs usages. Leur tige était munie de supports ou crochets pour recevoir les broches, et leur tête s'épanouissait en forme de petits réchauds pour préparer quelques mets, comme nos cases de fourneaux, ou pour maintenir les plats chauds. Dans les cuisines, l'usage des fourneaux divisés en plusieurs cases n'était pas fréquent comme de nos jours; les mets cuisaient sur le feu de la cheminée, et on comprend facilement que ces foyers ardents ne permettaient d'apprêter certains mets qu'il fallait remuer pendant leur cuisson ou qui se préparaient dans de petits poêlons. Les réchauds remplis de braise à la tête des landiers, se trouvant à la hauteur de la main et hors du foyer de la cheminée, facilitaient la préparation de ces mets. Quelquefois, mais plus rarement, la tête du landier se divisait en deux réchauds: c'était donc alors quatre plats que l'on pouvait apprêter et faire cuire en dehors du foyer, sur lequel était suspendues une ou plusieurs marmites au moyen de la crémaillère et de trépieds, et devant lequel tournaient une ou deux broches garnies de plusieurs pièces. La cheminée suffisait seule ainsi pour apprêter un repas abondant. Ordinairement, un gros anneau était fixé à la tige des landiers, pour pouvoir les remuer avec plus de facilité lorsqu'on voulait les éloigner ou les rapprocher l'un de l'autre."
La cuisine était peu raffinée dans les premiers siècles du moyen âge. " Avant le douzième siècle, dit encore M. Viollet le Duc, on ne mangeait que des viandes rôties et des légumes bouillis. L'art des ragoûts était à peu près ignoré. Ce qu'il fallait donc dans une cuisine, c'étaient de grands feux clairs, de larges foyers propres à placer de nombreuses et longues broches, à suspendre de vastes marmites." Les architectes du treizième siècle commencèrent à installer dans les cuisines "des fourneaux, des tables pour dresser les mets avant de les servir. A dater du quatorzième siècle, l'usage des sauces était très-goûté dans l'art de la cuisine; on ne se contentait plus de servir sur les tables des viandes rôties ou bouillies. Il fallait nécessairement des fourneaux pour préparer ces condiments beaucoup plus variés qu'ils ne le sont de nos jours. La cour de Bourgogne attachait une grande importance au service de table, et, pendant le quinzième siècle, c'était dans tout l'Occident celle où l'on mangeait et buvait le mieux. Les descriptions des festins donnés par les ducs de Bourgogne, qui nous sont scrupuleusement conservées dans la Mémoires d'Olivier de la Marche, permettent de supposer que pour préparer un aussi grand nombre de mets variés, il fallait des cuisines et des offices disposées de la façon la plus grandiose. Cependant beaucoup de mets étaient cuits d'avance. Mais on servait un nombre prodigieux de potages, de viandes préparées avec des sauces, de ragoûts, de poissons chauds, puis des pyramides de volailles ou de gibiers rôtis. Il fallait nécessairement que ces mets fussent cuits au moment des repas. Alors, dans ces vastes cuisines des palais ou châteaux, non-seulement on chauffait les foyers des vastes cheminées devant lesquels de longues broches recevaient les viandes, mais les landiers de ces cheminées portaient de petits fourneaux à leur sommet: on remplissait les potagers de charbon; puis des tables, sur lesquelles on étendait de la braise incandescente, servaient encore de supplément, soit pour faire instantanément des coulis, soit pour dresser des plats."
Les landiers placés dans les appartements ne différaient guère de ceux des cuisines que par plus de richesse dans leur composition, plus de finesse et de soin dans leur exécution; mais ces derniers étaient souvent eux-mêmes des pièces de forge si remarquables, dans ce temps où l'art de la ferronnerie et de la serrurerie a été porté à la plus grande perfection, qu'on serait tenté de croire qu'ils étaient destinés à prendre place dans les grandes salles des châteaux, si on ne les voyait pourvu de crochets pour porter des broches, de chaînes où peuvent être suspendues des marmites, de fourneaux au sommet de leurs tiges. Au surplus, la salle où se réunissait la famille, les serviteurs, où l'on recevait les amis et les étrangers, où l'on passait les longues soirées d'hiver devant le foyer rayonnant, ou bien quand le feu réduit et ramassé devenait moins ardent sous le manteau de l'énorme cheminée; cette salle, dont plus d'un noble manoir et dans plus d'une maison bourgeoise de ville ou de campagne, était la même où l'on prenait les repas; et il n'est pas étonnant que les landiers placés sur l'âtre fussent, comme ceux dont on voit ici le dessin, pourvus de fourneaux, de chaînes et de crochets, au moyen desquels on pouvait tenir les mets près du feu et à portée des convives, ou faire chauffer de l'eau. Les landiers ici dessinés d'après une photographie sont vus de côté, comme il est facile de s'en rendre compte, et tournés dos à dos au lieu d'être présentés de face. Ils ont été rivés ensemble de manière à former une sorte de garde-feu; mais il est facile de les séparer par la pensée et de les remettre dans leur première position, qui est la véritable.

Le magasin pittoresque, 1866.

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