mardi 23 septembre 2014

Repas turc.

Repas turc.


Il y a ordinairement dans chaque maison turque un peu aisée, trois tables séparées, savoir: celle du chef de famille, qui prend habituellement son repas seul; la tables des enfans qui, par respect pour leur père, ne mangent point avec lui; et celle de la femme, qui vit isolée dans son appartement. Quand il y a plusieurs femmes, chacune a son couvert particulier, et toutes ces tables ne peuvent recevoir plus de quatre ou cinq personnes.
Le turc divise sa nourriture en deux repas, et l'homme puissant, qui vit dans la noblesse, y ajoute, dès le matin, un léger goûter. Comme tous sont dans l'habitude de se lever dès l'aurore, celui-ci, nonchalamment étendu dans l'angle d'un sopha, après un court namaz ou prière, frappe dans ses mains pour appeler l'esclave qui lui apporte sa pipe. Il savoure à longs traits la fumée du tabac, qu'il brûle avec des parcelles d'aloès, et reste sans parler, absorbé dans une profonde nullité; on l'arrache de cet état pour lui présenter une légère infusion de café moka bouillant, dans lequel le marc porphyrisé reste suspendu, et il le boit en aspirant doucement sur le bord de la tasse....; ses jambes croisées, sur lesquelles il est assis, lui refusent presque leur secours; il invoque les bras de deux domestiques pour se soulever................. Il dit comme l'asiatique, son voisin: ne rien faire est bien doux; mais, mourir pour se reposer, c'est le bonheur suprême.
La matinée de l'homme opulent s'écoule de cette manière, ou en roulant machinalement son tchespi (1). Vers le milieu du jour, on apporte le dîné. La plus grande simplicité règne dans le service; on ne voit sur la table ni nappe, ni fourchettes, ni assiettes, ni couteaux; une salière, des cuillères de bois, d'écaille ou de cuivre, et une grande serviette d'une seule pièce, qui fait le tour de la table forment l'appareil.
On distribue le pain coupé par bouchées, et on garnit le plateau de cinq à six plats de salades d'olives, de cornichons, de céleri, de végétaux confits au vinaigre, et de confitures liquides. On apporte ensuite les sauces et les divers ragoûts, et le repas se termine par le pilaw. En aucune circonstance on ne fait usage de dessert; les différentes saisons tiennent lieu de hors-d’œuvres, et chacun mange à son gré pendant le dîner. Quinze minutes suffisent pour se rassasier, et le repas est un travail pour l'indolent, qui semble l'avoir fait en cédant à la nécessité plutôt qu'au plaisir.
Les boissons, dont on ne fait usage qu'après avoir mangé, sont l'eau et le scherbet, qu'on présente à la ronde dans un verre de cristal, qui est commun à tous les convives; le vin, proscrit en apparence, ne se boit que dans les tavernes. Ce n'est pas qu'on ne fasse mention, dans l'histoire turque, de plusieurs sultans qui ont donné l'exemple public de cette violation du Koran; mais, depuis les édits sévères de Mourad IV, ses successeurs ont au moins sauvé les apparences. Il n'y a que les derviches ou moines, les soldats, les marins, une partie de la bourgeoisie et du bas peuple qui donnent le scandale de l'ivrognerie.
L'après-midi, le turc riche passe son temps dans un kiosk bien aéré. Celui qui habite les rives du Bosphore aime que sa vue plane sur les sites agréables de l'Asie, où reposent ses pères. Il contemple cette terre, comme celle qui doit servir un jour d'asile aux musulmans, lorsqu'une nation d'hommes blancs les auront chassés d'Europe. Il s'enivre d'odeurs, des vapeurs de la pipe, et se rafraîchit avec le scherbet parfumé de musc, que ses esclaves lui versent. Éloigné ensuite de toute société, il appelle ses femmes, et, sans déposer rien de sa gravité, il leur commande de danser en sa présence!
Le souper qui est servi sur les tables, au coucher du soleil, est composé avec plus de soin que le dîner, mais il se passe avec autant de célérité. La pipe termine la journée, dont le cercle monotone n'admet presque jamais de variété, ni de ces accessoires qui font le plaisir de la vie, par la nouveauté.

(1) sorte de chapelet.


Le Magasin Universel, 1834-1835.




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