lundi 22 septembre 2014

A propos de John Higgins.

A propos de John Higgins.


Petit est le nombre de ceux qui connaissent l'ingratitude et les difficultés que présente l'entraînement d'un numéro de tapis, de trois bancs, d'un numéro, enfin, digne de tenir l'affiche en grosse lettres. Ainsi j'ai été surpris tant soit peu en voyant le travail de John Higgins au Nouveau-Cirque qui avait laissé de côté les sauts périlleux et acrobatiques, pour une suite de sauts simples, à pieds joints et avec le secours de petites haltères. Mais, en retour, nombreux ont été ses admirateurs, ce qui fait croire en cette occasion que le sport est en grand progrès en France, et que le public sait témoigner son étonnement et son admiration à toutes les bonnes manifestations sportives. Ceci est pour mettre au point, que nombreux sont les acrobates de métiers, mais petit est le nombre des athlètes qui peuvent se rendre suffisamment intéressants par des exercices athlétiques naturels et dont les résultats offrent une comparaison tellement frappante qu'elle soulève immédiatement les applaudissements des spectateurs. Tel est le cas de John Higgins et voilà quelle a été la cause de son succès.
Mais arrivons au point délicat. John Higgins le sauteur avec poids est-il un sauteur?...
Je crois soulever là une question à laquelle peu d'athlètes ne pourraient répondre, car elle exige de celui-ci d'être à la fois un très bon sauteur à pieds joints et en même temps un gymnaste. Eh bien, je vais vous donner l'opinion d'un homme qui a, je crois, ces deux qualités, je vous nomme Grisel, membre du Racing-Club de France.
Grisel, est élève de l'Ecole des Beaux-Arts, c'est un titre qui lui donnera plus d'autorité dans son jugement, par suite de son désintéressement. C'est d'abord un très bon gymnaste, il a remporté de nombreux prix dans les concours de gymnastique de Paris et a concouru à Nancy en 1890 pour le Championnat de France de Gymnastique, où il est arrivé dans les premiers. Au cirque Molier, il fait encore chaque année un numéro d'anneaux où les équilibres par renversement n'ont pas de secret pour lui.
Comme sauteur, il a été en 1896 champion de France du saut en longueur avec une jolie distance de 6,25 m. Bon coureur à pied, il a représenté les couleurs françaises en Angleterre, en Belgique et aux jeux olympiques.
Il est âgé de 25 ans, son poids à l'entraînement est de 69 kilos, sa taille de 1,65 m.
Il y avait déjà quelque temps que John Higgins était à Paris, lorsque Grisel vint me voir et me parla du Cirque Molier en me demandant quel numéro sensationnel il pourrait bien produire pour la représentation projetée? Le temps était court et par conséquent l'entraînement ne devait donc pas être trop laborieux. Nous allâmes au Nouveau-Cirque ensemble et justement nous vîmes le merveilleux Higgins. A la fin du spectacle, Grisel me dit: "Eh bien, mon cher ami, j'ai trouvé mon numéro, je vais faire mon petit Higgins". Le temps a justifié sa prédiction, son succès au Cirque Molier a été resplendissant et a couronné son laborieux travail.
Dans le cours de son entraînement voilà ce qu'il a constaté et ce qu'il pense de John Higgings:
"La presse le dénonce comme un champion sauteur. Je veux bien le croire, quoique je m'étonne d'un refus de sauter en public sans poids, qu'il a fait. Mais je trouve que ses sauts avec poids nécessitent plutôt les qualités d'un gymnaste que celle d'un sauteur.
"Lorsque par exemple, il saute dix chaises avec ses poids, après l'appel des pieds sur le sol, la première trajectoire semble s'arrêter vers la quatrième chaise; et c'est le mouvement de traction et translation en avant qu'il donne à son corps, au moyen de ses bras, en faisant effort sur les poids qui par suite de l'accélération offrent momentanément une force suffisante pour servir de point d'appui, qui lui font franchir les six dernières chaises. Cela est déjà concluant.
"Mais encore lorsqu'il fait comme au Racing-Club plusieurs sauts en longueur non interrompus. Il se sert à ce moment de masses de plomb pesant environ 8 à 9 kilogrammes, et comme chaussures il a des sabots bien attachés avec des semelles en bois très épaisses et arrondies dans le sens de la longueur, c'est à dire plus épais dans le milieu qu'au bout du pied et au talon. De cette façon lorsqu'il lance les poids en avant avec les bras, il est amené à venir sur la pointe des pieds sans faire aucun mouvement des jambes. A ce moment, il ramène les bras en arrière et en les renvoyant brusquement en avant il quitte le sol avec les poids. En l'air, il tractionne sur les bras, ramène les poids en arrière, au moment où les talons vont toucher terre, de cette façon les bras sont en position pour repartir, car en même temps qu'ils passent en avant du corps, l'homme bascule sur la pointe des pieds, quitte le sol parallèlement au mouvement ascendant des bras en avant du corps. Il suffit de répéter ce mouvement pour chaque saut. C'est ce qui explique la souplesse avec laquelle il saute, car cela ne lui nécessite aucun des coups de reins, que demande l'effort d'un saut déjà raisonnable. Sans poids, pour ramener le centre de gravité à l'aplomb des jambes, et leur permettre de recevoir le poids du corps d'une façon normale. Dans le saut avec poids, c'est le balancement des bras combiné avec la masse des poids qui produit cet effort. De là cette facilité de passer les chaises et surtout la résistance de sauteur dont il se fait gloire, et qu'il ne faudrait pas attribuer à ses jambes, qu'il a malades, et accompagnées, je crois, de varices. Ceci dénoncé par la teinture d'iode et ses bas varices.
"A mon avis, John Higgins a truqué le saut à pieds joints mais il saute avec les bras, c'est un gymnaste!
John Higgins ne saute pas les pieds réunis, il a toujours un pied devant l'autre, cela facilite le balancement du corps sur les jambes et augmente la longueur de ses sauts de près de 0,80 m."
Je ne puis vous dire toutes les études intéressantes que Grisel a vu dans le professionnel, je n'en ai pas la place, ce que je peux affirmer, c'est qu'il a su les mettre à profit.
D'abord, il a voulu sauter sans poids. Il a voulu rester sauteur! voilà le résultat de son opinion.



Voici maintenant le résultat de 3 mois d'entraînement. Saut en longueur sans obstacles: 4,07 m., avec obstacles 5 chaises, la figure n'en représente que 3. Saut en hauteur:1,6 m., le record du saut en hauteur facultatif en France est de 1,66 m.


Dans le saut des 2 chaises écartées, la distance de l'écart est de 5 mètres, le saut s'effectue avec un appel au milieu des 2 chaises après avoir franchi la première. 


La distance de la pointe des pieds au moment de cet appel sur le sol au plan des pieds du dossier de la chaise à franchir est de 2,45 m.
En trois sauts successifs à pieds joints Grisel franchit deux chaises dans son troisième saut, placées à 7,60 m. de la pointe des pieds au moment du départ du premier saut.
En s'appuyant sur le résultat d'une observation qui permet de dire qu'un sauteur moyen qui fait 2,40 m. à pieds joints, arrive à faire facilement 3,10 m. avec des poids, au bout d'un mois et demi d'entraînement, on voit que notre sauteur amateur aurait des chances de lutter avec Higgins, dans cette proportion.
Grisel estime qu'il faudrait au moins un an d'entraînement pour avoir un résultat avec les poids. 
Il tourne les sauts périlleux à la même hauteur que ses sauts ordinaires, c'est à dire, disait un homme du métier: "il les monte très haut".


Une photographie le représente sautant une chaise en faisant une demi pirouette de façon qu'ai moment où il touche le sol, il ressaute la chaise aussitôt. Il répète ce tour 4 ou 5 fois de suite, avis aux amateurs de jeux de société!


Tous ces exercices sont faits à pieds joints, précédé de quelques pas de marche, pour les sauts qui ne sont pas multiples. C'est du reste la méthode préconisée par John Higgins.
Grisel va  se remettre à l'entraînement en automne, et s'apprête à nous révéler un nouveau truc sensationnel pour l'année prochaine au Cirque Molier.

Le sport universel illustré, 6 août 1898.

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