Sur le froid périodique du milieu de mai.
Dans la matinée du premier mai de 1780, le grand Frédéric se promenait sur les terrasses de son palais de Sans-Souci; l'air était tiède, le soleil chaud, les bourgeons des arbres s'épanouissaient de tous côtés et les corolles des fleurs printanières s'échappaient à l'envi de leurs calices. Le roi s'étonnait que les orangers fussent encore renfermés; il appela son jardinier et lui ordonna de faire sortir ces arbres pour les disposer sur les terrasses et le long des allées. "Mais, sire, lui objecta le jardinier, vous ne craignez donc point les trois saints de glace, saint Mamert, saint Pancrace et saint Servais?" Le roi philosophe se mit à rire et intima l'ordre de tirer immédiatement les orangers de leur habitation d'hiver où ils languissaient privés d'air et de lumière. Jusqu'au 10 mai tout alla bien: mais le jour de la saint Mamert le froid survint, le lendemain, jour de la saint Pancrace, la température baissa davantage, et il gela fortement dans la nuit qui précéda la fête de saint Servais. Les orangers avaient beaucoup souffert; le jardinier se confirma dans sa croyance, mais le roi n'admit qu'une coïncidence fortuite. Il avait tort. Les préjugés du vulgaire renferment presque toujours quelques parcelles de vérité, et certaines opinions populaires sont des vérités tout entières, mal comprises et surtout mal expliquées. Celle-ci est du nombre: deux météorologistes allemands, MM. Maedler et Lohrmann, voulurent s'assurer si l'opinion des cultivateurs allemands étaient fondée. Ils trouvèrent qu'en Allemagne ces trois jours sont constamment plus froids que ceux qui les précèdent ou ceux qui les suivent. Ainsi, à Berlin, où l'on possède une série d'observations de cent dix années consécutives, la température moyenne de chaque jours de mai, exprimées en degrés centigrades, est la suivante à partir du 8 jusqu'au 16.
La température moyenne des 11, 12 et 13 mai (11°, 64) est plus basse que celle de trois autres jours consécutifs quelconques du mois de mai.
On a vérifié ces résultats en étudiant le climat des villes de Dresde, de Prague, de Carlsruhe, de Londres et de Paris. Dans toutes ces villes on trouve toujours une période de froid comprise entre le 9 et le 17 mai, et en moyenne le 13 mai est toujours plus froid que le 8 et le 18; si l'on fait la même recherche pour Saint-Pétersbourg, on trouve que la période du froid survient plus tôt, elle tombe sur le 9 et le 10. Pour Paris, trente années d'observations (1816-1845) nous apprennent que cette période est retardée et qu'il n'y a pas dans le moi de mai trois jours consécutifs dont la moyenne soit plus basse que celle des 13,14 et 15. Le tableau suivant en est la preuve.
Température moyenne, à Paris, de chaque jour du mois de mai, déduite de trente années d'observations(1816-1845).
Cette basse température des 13, 14 et 15 mai est un fait extrêmement remarquable. En effet, le 1er mai le soleil est déjà fort élevé au-dessus de l'horizon; du 1er au 13 cette hauteur augmente de plus de trois degrés, par cela même les jours grandissent rapidement: leur durée, qui est le 1er de 14 heures 31 minutes, est de 15 heures 7 minutes le 13. Toutes ces circonstances tendent à élever la température, et cependant il y a un abaissement notable vers le milieu du mois et surtout dans les trois jours que nous avons mentionnés. On remarquera aussi que la période de froid vient plus tard qu'en Allemagne: des trois saints de glace du jardinier du Sans-Souci, saint Servais est le seul dont l'influence s'étende jusqu'en France.
Un de nos météorologistes les plus distingués, M. Fournet, professeur à la faculté des sciences de Lyon, frappé de l'intensité du froid survenu en mai 1848, a voulu savoir si cette époque du froid se manifestait aussi dans le bassin du Rhône; elle y existe, en effet, mais son apparition est encore plus tardive qu'à Paris. Ainsi à Lyon, elle est sensible du 20 au 22 mai. En 1845, par exemple, le thermomètre n'y descendit pas en-dessous de 6° jusqu'au 18 mai, mais le 19 il était dans la nuit à 5°,5; le 20, à 5°,0; le 21 à 4°,0, et la terre se couvrit de gelée blanche; depuis ce jour le minimum oscilla encore entre 5°,5 et 6°,8, mais à partir du 26 il ne descendit plus en-dessous de 11°. Ce combat de l'hiver et du printemps, ce commencement de chaleur interrompu par des recrudescences de froid, ces alternances si pénibles au moment où toute la nature s'épanouit au retour de la belle saison, ont inspiré au poète Deschamps la boutade suivante.
C'est un ménage d'enfer.
L'almanach et le thermomètre
Ne peuvent d'accord se mettre:
L'un dit printemps et l'autre l'hiver.
Nous avons un triste ordinaire
De grêle, de pluie et de vent;
Un grisâtre horizon, souvent
Éclairé d'un coup de tonnerre.
On dirait que le mois de mai
Est relégué dans quelque idylle,
Ou que, tel un luxe inutile,
Cette année on l'a supprimé.
La conclusion de tous les faits que nous venons d'énumérer, c'est qu'il existe dans le mois de mai une période de froid de trois jours environ; cette période paraît arriver plus tard dans le Midi que dans le Nord, car à Pétersbourg, elle tombe aux environs du 10, à Paris du 13 au 15, à Lyon du 19 au 22. Ces arrivées ne coïncident pas avec celle de la lune rousse, si redoutée des jardiniers.
Deux explications ont été proposées pour rendre compte du froid périodique du mois de mai. On a pensé qu'il était dû au passage de la terre au milieu d'un groupe d'astéroïdes assez nombreux pour affaiblir par leur interposition la chaleur solaire; on avait établi une relation de cause à effet entre l'apparition de nombreuses étoiles filantes au mois de mai et celle du froid. Cette opinion n'est plus soutenable; en effet nous avons vu que dans l'Europe septentrionale seulement l'apparition du froid varie du 9 au 19 mai, et les observations si longtemps continuées et consciencieuses de M. Coulvier-Gravier sur les étoiles filantes (1) prouvent qu'au printemps, c'est dans la nuit du 1er au 2 mai qu'on remarque le plus grand nombre de ces étoiles filantes.
Une autre explication consiste à attribuer, ce froid à la fonte des neiges et des glaces dans le nord et sur les autres montagnes d'Europe. La neige, en fondant, absorbe, comme on sait, une grande quantité de chaleur qu'elle emprunte à tous les corps environnants et par conséquent aussi à l'air avec lequel elle est en contact. On a donc supposé que le froid qui en résultait se propageait du nord vers le sud, et amenait successivement l'abaissement de température que nous avons signalé. Cette explication est peut être la véritable; mais avant de l'adopter il faut attendre qu'elle soit confirmée par des observations directes nombreuses et positives. Jusque-là elle reste à l'état de simple hypothèse.
(1) Recherches sur les étoiles filantes, par MM. Coulvie-Gravier et Saugey, p.73.
Magasin Pittoresque, 1849.
8 mai.........................................12°,66
9 mai ........................................12°,82
10 mai........................................12°,37
11 mai (saint Mamert).............11°,71
12 mai (saint Pancrace)...........11°,65
13 mai (saint Servais)..............11°,55
14 mai........................................12°,39
15 mai........................................12°,69
16 mai........................................13°,00
On a vérifié ces résultats en étudiant le climat des villes de Dresde, de Prague, de Carlsruhe, de Londres et de Paris. Dans toutes ces villes on trouve toujours une période de froid comprise entre le 9 et le 17 mai, et en moyenne le 13 mai est toujours plus froid que le 8 et le 18; si l'on fait la même recherche pour Saint-Pétersbourg, on trouve que la période du froid survient plus tôt, elle tombe sur le 9 et le 10. Pour Paris, trente années d'observations (1816-1845) nous apprennent que cette période est retardée et qu'il n'y a pas dans le moi de mai trois jours consécutifs dont la moyenne soit plus basse que celle des 13,14 et 15. Le tableau suivant en est la preuve.
Température moyenne, à Paris, de chaque jour du mois de mai, déduite de trente années d'observations(1816-1845).
1 12,95 17 14,03
2 11,94 18 14,16
3 13,97 19 14,25
4 14,85 20 14,88
5 14,01 21 14,64
6 13,92 22 14,46
7 13,94 23 15,16
8 14,26 24 15,15
9 13,68 25 14,49
10 12,80 26 14,45
11 13,10 27 14,56
12 12,96 28 14,66
13 * 12,83 29 14,93
14 * 12,43 30 14,98
15 * 12,80 31 15,4
16 13,25
Moyenne: 14,43
Cette basse température des 13, 14 et 15 mai est un fait extrêmement remarquable. En effet, le 1er mai le soleil est déjà fort élevé au-dessus de l'horizon; du 1er au 13 cette hauteur augmente de plus de trois degrés, par cela même les jours grandissent rapidement: leur durée, qui est le 1er de 14 heures 31 minutes, est de 15 heures 7 minutes le 13. Toutes ces circonstances tendent à élever la température, et cependant il y a un abaissement notable vers le milieu du mois et surtout dans les trois jours que nous avons mentionnés. On remarquera aussi que la période de froid vient plus tard qu'en Allemagne: des trois saints de glace du jardinier du Sans-Souci, saint Servais est le seul dont l'influence s'étende jusqu'en France.
Un de nos météorologistes les plus distingués, M. Fournet, professeur à la faculté des sciences de Lyon, frappé de l'intensité du froid survenu en mai 1848, a voulu savoir si cette époque du froid se manifestait aussi dans le bassin du Rhône; elle y existe, en effet, mais son apparition est encore plus tardive qu'à Paris. Ainsi à Lyon, elle est sensible du 20 au 22 mai. En 1845, par exemple, le thermomètre n'y descendit pas en-dessous de 6° jusqu'au 18 mai, mais le 19 il était dans la nuit à 5°,5; le 20, à 5°,0; le 21 à 4°,0, et la terre se couvrit de gelée blanche; depuis ce jour le minimum oscilla encore entre 5°,5 et 6°,8, mais à partir du 26 il ne descendit plus en-dessous de 11°. Ce combat de l'hiver et du printemps, ce commencement de chaleur interrompu par des recrudescences de froid, ces alternances si pénibles au moment où toute la nature s'épanouit au retour de la belle saison, ont inspiré au poète Deschamps la boutade suivante.
C'est un ménage d'enfer.
L'almanach et le thermomètre
Ne peuvent d'accord se mettre:
L'un dit printemps et l'autre l'hiver.
Nous avons un triste ordinaire
De grêle, de pluie et de vent;
Un grisâtre horizon, souvent
Éclairé d'un coup de tonnerre.
On dirait que le mois de mai
Est relégué dans quelque idylle,
Ou que, tel un luxe inutile,
Cette année on l'a supprimé.
La conclusion de tous les faits que nous venons d'énumérer, c'est qu'il existe dans le mois de mai une période de froid de trois jours environ; cette période paraît arriver plus tard dans le Midi que dans le Nord, car à Pétersbourg, elle tombe aux environs du 10, à Paris du 13 au 15, à Lyon du 19 au 22. Ces arrivées ne coïncident pas avec celle de la lune rousse, si redoutée des jardiniers.
Deux explications ont été proposées pour rendre compte du froid périodique du mois de mai. On a pensé qu'il était dû au passage de la terre au milieu d'un groupe d'astéroïdes assez nombreux pour affaiblir par leur interposition la chaleur solaire; on avait établi une relation de cause à effet entre l'apparition de nombreuses étoiles filantes au mois de mai et celle du froid. Cette opinion n'est plus soutenable; en effet nous avons vu que dans l'Europe septentrionale seulement l'apparition du froid varie du 9 au 19 mai, et les observations si longtemps continuées et consciencieuses de M. Coulvier-Gravier sur les étoiles filantes (1) prouvent qu'au printemps, c'est dans la nuit du 1er au 2 mai qu'on remarque le plus grand nombre de ces étoiles filantes.
Une autre explication consiste à attribuer, ce froid à la fonte des neiges et des glaces dans le nord et sur les autres montagnes d'Europe. La neige, en fondant, absorbe, comme on sait, une grande quantité de chaleur qu'elle emprunte à tous les corps environnants et par conséquent aussi à l'air avec lequel elle est en contact. On a donc supposé que le froid qui en résultait se propageait du nord vers le sud, et amenait successivement l'abaissement de température que nous avons signalé. Cette explication est peut être la véritable; mais avant de l'adopter il faut attendre qu'elle soit confirmée par des observations directes nombreuses et positives. Jusque-là elle reste à l'état de simple hypothèse.
(1) Recherches sur les étoiles filantes, par MM. Coulvie-Gravier et Saugey, p.73.
Magasin Pittoresque, 1849.
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