dimanche 15 juin 2014

Un exemple de la lenteur des progrès.

Un exemple de la lenteur des progrès.

Lorsque le célèbre Pinel fit tomber les fers dont on chargeait les aliénés et substitua un traitement humain, raisonné et bienfaisant, aux violences et aux tortures dont on usait sans remords avec eux, le dix-neuvième siècle n'était pas encore commencé. On était en plein sous le régime de la terreur. Mais les progrès sont si lents à s'infiltrer dans la population, même éclairée, qu'un médecin envoyé en inspection, en 1843, trouva encore, dans une maison de fous de la Vendée, quinze femmes et vingt hommes nus enchaînés dans leurs loges! Il y avait cependant un demi-siècle que Philippe Pinel avait fait déchaîner les fous furieux de Bicêtre! Déjà, en 1819, une circulaire ministérielle avait insisté auprès des directeurs des établissements d'aliénés sur la réforme entreprise à la fin du dernier siècle et dont on avait constaté l'efficacité.
Cette lenteur dans l'accomplissement des progrès serait désespérante si l'on ne réfléchissait sur les difficultés qui se révèlent successivement toutes les fois qu'il s'agit d'introduire une amélioration. Un progrès dans les choses exigent un progrès correspondant chez les hommes, et réciproquement. Tout se tient: pour modifier fortement la moindre circonstance, il faut en modifier plusieurs autres. L'application du système de Philippe Pinel exige des fonctionnaires doués de qualités spéciales en patience et en prévoyance, en douceur et en fermeté, en justice et en perspicacité: hommes rares! Il faut qu'ils soient pénétrés de la même foi que le réformateur, dévoués à la recherche des moyens nouveaux que nécessite chaque cas particulier. En voici un exemple applicable aux cas de nature analogue.
Une fois il arriva qu'on ne pouvait venir à bout sans violences extrêmes d'un fou furieux qui refusait de prendre un bain salutaire. Le directeur et le médecin imaginèrent de faire avancer vers lui huit ou dix vigoureux infirmiers dans l'attitude de la force et de la résolution. L'insensé recula. Un instinct lui révélant l'inutilité de sa résistance en face d'une force si supérieure à la sienne, il se sentit dominé, céda, et prit tranquillement son bain avec un seul baigneur. L'apparition matérielle d'une volonté irrésistible fut ainsi un moyen de triomphe paisible et une ressource pour se passer de la contraint violente; elle fit renaître un moment de raison et d'obéissance dans un cerveau détraqué.

Magasin Pittoresque, 1875.


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