Le gâteau de la mariée.

Le gâteau de la mariée.

Autrefois, la France était le pays du monde où l'on mangeait avec le plus d'apparat. Les tables des grands seigneurs ployaient littéralement sous le poids des rôtis énormes et des pièces "montées" faites plutôt pour charmer les yeux que pour contenter l'appétit des convives. Nous avons changé tout cela. Il est de bon ton de recevoir simplement ses convives. Et nos dîners de noces eux-mêmes ressemblent à des banquets officiels.

Il en est autrement à l'étranger. A Saint-Petersbourg comme à Londres on confectionne encore le "gâteau de la mariée" avec le souci de faire grand, somptueux, original. Et les dimensions de la pâtisserie sont en raison de l'importance du mariage que l'on veut fêter.

Lors du mariage de M. Vanderbilt avec miss Elsie French, des bijoux en or enrichis de pierres précieuses étaient enfouies dans la pâte d'une broche colossale supportée par un chariot d'argent. Ils échurent aux invités au hasard de la distribution des parts. Cette galanterie ne coûta guère aux familles des mariés que soixante-quinze mille francs.

On sait que la reine victoria se montrait fort attachée aux anciennes coutumes de la vie de famille. Lors des grands dîners, elle souhaitait voir sur la table royale un véritable édifice de friandises, haut de 4 mètres et pesant au moins 250 kilogrammes.

La pâtisserie qui figura aux noces de duc d'York fut un chef d'oeuvre.

Trois artistes travaillèrent durant cinq semaines à l'oeuvre. Ce n'était pas un gâteau, mais un poème en sucre, nougat, fruits confits, confitures de toutes couleurs. Cela représentait les différents épisodes de la carrière navale du prince. C'était haut de 2,10 m, lourd de 150 kg et... comestible.

Le gâteau nuptial édifié pour les noces de duc d'Albany présentait un aspect moins historique. Il portait une couronne de 25 petits Amours déroulant des manuscrits. Allusion délicate et sucrée au goût littéraire du fiancé.

Gâteaux sculptés.

Quand les pâtissiers-décorateurs se mettent en frais de création, ils ne craignent pas de traiter les sujets les plus arides. Au festin de l'amiral Markham, explorateur du pôle Nord, le gâteau représentait le vaisseau l'Alerte, entouré de glaçons et d'ours blancs. Il est vrai que la gelée est chose familière aux cuisiniers!

Mais les gâteaux les plus somptueux sont ceux qui ne doivent que figurer sur la table nuptiale... et échappent à l'appétit des convives. Au dîner de noces d'un jeune homme qui avait fait fortune dans les mines de diamants au Cap, on présenta aux invités une mirifique grotte en sucre et en or constellée de pierres précieuses. De minuscules lampes électriques éclairaient ce petit palais de Plutus qui fut démoli et vendu pour venir en aide à un refuge d'orphelins.

Les gâteaux de noces s'ingénient le plus souvent à rappeler la profession de l'époux: locomotives pour les ingénieurs, petites rotatives pour les directeurs de journaux, usines pour les manufacturiers, etc... Il en est même qui font défiler devant l'assistance toute la théorie des bébés qui naîtront du mariage fêté. Cette dernière trouvaille, d'un goût un peu douteux, nous vient du Nord de l'Allemagne. Citons encore les gâteaux qui chantent Carmen (grâce au phonographe) ou récitent un compliment à la mariée, toujours en vers, et souvent très long, trop long.

Mais il nous reste à décrire une pâtisserie particulièrement compliquée. Elle pesait 250 kilogrammes et fut préparée pour le mariage de Nicolas II, empereur de Russie, avec la princesse Alix de Hesse.

Ce gâteau était en deux parties, consacrées l'une à célébrer le souverain, l'autre la jolie mariée.

Chacun de ces morceaux se subdivisait lui-même en autant de parcelles que l'époux comptait d'ans. Par exemple le "côté" Alix de Hesse figurait en dix-huit ou vingt compartiments les fort ordinaires épisodes de la vie de la princesse.

Ce monument bizarre était coiffé des armoiries (rubis et diamants) des époux. Et, détail bien russe, une petite clochette en argent tintinnabulait sur le tout.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 17 mai 1903.