lundi 9 juin 2014

Le carnet de Madame Elise.

Le moyen de parvenir.


Voici un titre qui attirera l'attention non seulement des jeunes gens à établir, mais sans doute aussi celle de bien des personnes dont la carrière est commencée.
Car, parvenir, réussir à gagner une situation toujours plus brillante qui assure le pain de la vieillesse et l'éducation soignée, l'instruction étendue des enfants, n'est-ce pas le but de tous? Pour l'atteindre, beaucoup ont mis de côté tout scrupule, toute morale,  et se sont élevés petit à petit en sachant à propos trahir leurs amis, injurier leurs bienfaiteurs, et renier allègrement leurs convictions: ceux-là sont les arrivistes, type dangereux qui tend de plus en plus, sous des influences déterminées que nous n'avons pas à examiner ici, à se généraliser parmi la jeunesse, qui se trouve dans tous les milieux, mais dont les plus beaux échantillons prospèrent dans le monde politique.
Heureusement, il reste, pour parvenir, des moyens plus honnêtes, moins "nouveau jeu", et ce sont ceux-là que nous allons tenter d'indiquer ici.
Pour réussir dans la vie, il ne faut pas aller au caprice de sa fantaisie souvent maladroite et illogique, il faut se conduire d'après quelques sages préceptes qui résument, à l'usage de la jeunesse, toutes les leçons que l'expérience a données à nos devanciers.

Pour le jeune homme.

Dans le choix d'une carrière, il doit consulter non ses préférences et ses prédilections, mais ses aptitudes et ses chances de succès.
Au lieu de gaspiller son temps, il doit dès le début prendre de l'avance sur ses concurrents qui s'attardent dans l'insouciance de leur jeunesse.
Il doit entreprendre la tâche proposée, non avec la forfanterie de l'incapable, mais avec la modestie prudente de l'homme qui veut faire bien et obtenir un résultat supérieur à celui que ses chefs ou ses maîtres attendent.
Il ne doit pas montrer d'impatience à jouir des fruits de son travail afin d'apaiser la défiance de ses rivaux et de s'assurer une plus solide victoire.
Il doit chercher moins à être le plus brillant qu'à devenir le plus fort.
Dans les difficultés de la vie, il ne doit jamais se laisser aller au découragement, car c'est déjà une demi-défaite.
Il ne doit pas s'attarder aux lamentations odieuses de l'homme incompris, mais s'efforcer de se faire comprendre.
Il doit développer ses qualités physiques et, s'il a le temps, ses talents d'agrément, mais n'y attacher que l'importance qu'ils méritent et qui est secondaire.
Il doit professer hautement son respect pour les femmes.
Il doit se faire aimer d'un petit cercle d'intimes et se faire respecter des autres.
Il ne doit pas se reposer sur ses protecteurs et ses amis du soin de son sort, mais déployer assez d'activité et d'énergie, pour qu'il y ait quelque plaisir et même quelque honneur à le seconder dans ses entreprises.
Il doit manifester la noblesse de ses sentiments moins par des discussions inutiles ou belliqueuses que par des actes résolus.
Il doit cultiver son jugement en dehors des conventions établies, penser par lui-même, d'après ses propres observations et non d'après l'opinion du monde.
La semaine prochaine, nous indiquerons à nos amies lectrices comment elles pourront, elles aussi, faire dans la vie leur petite trouée, sans être pour cela des arrivistes en jupon.

                                                                                                                       Mme Elise.

Mon Dimanche, 9 août 1903.

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