vendredi 23 mai 2014

Sur la couleur bleue que prend quelquefois le lait de vache.

Sur la couleur bleue que prend quelquefois le lait de vache.

Le lait  qui doit devenir bleu n'offre ordinairement, au moment de la traite, aucun caractère particulier, ce n'est que par la reposition plus ou moins prolongée que la couleur se développe. Si on employait le lait le jour où il a été trait, on ne s'apercevrait pas de la couleur qu'il est susceptible de présenter. Après un séjour qui n'est pas ordinairement moindre de deux jours, la couleur bleue apparaît à la surface de la crème, sous forme de petits points bleus presque imperceptibles, qui s'agrandissent ensuite singulièrement, de manière à former des taches de différentes grandeurs; quelquefois elle se réunissent et ne forment plus qu'une seule tache bleue sur la surface de la terrine; et ce n'est jamais qu'après cinq à six jours que l'effet devient aussi général.
La teinte du lait bleu est celle de l'azur; la crème donne du beurre qui est d'une consistance plus molle, d'une saveur moins douce et moins agréable que celle du beurre provenant du lait ordinaire. Il prend bientôt un goût acre et fort, qui diffère peu de la rancidité; il donne avec le sel de mauvais caractères, mais, quand il est fondu, on ne peut le distinguer d'une autre beurre.
Le lait bleu n'a aucune action fâcheuse sur l'économie animale; son usage n'occasionne aucun dérangement de santé, mais il est désagréable et généralement rejeté: le plus ordinairement, il est difficile de savoir quand il se présente dans une ferme, parce qu'on cache avec soin son apparition, qui est regardé comme un événement fâcheux.
Il existe beaucoup de préjugés relativement aux causes qui produisent le lait bleu: le plus répandu est celui que l'on attribue à des sortilèges.
Beaucoup de personnes supposent que le lait bleu provient d'azur que l'on a semé dans les pâturages. Il nous sera facile de prouver l'erreur dans laquelle ils sont: d'abord par le prix élevé de cette substance; la quantité qu'il en faudrait employer pour produire un effet, s'il était susceptible d'en produire; la facilité avec lequel on en apercevrait les traces dans les pâturages; et surtout par le défaut absolu d'action de ce composé qui, avalé par les vaches, ne produit aucun effet sur leur lait. L'azur est une substance vitreuse colorée par un métal que l'on appelle cobalt, et qui est de l'oxyde d'arsenic. L'azur ne se dissout pas dans l'eau, ne peut être transporté dans les mamelles de la vache pour agir sur le lait; et si, par impossible, il passait dans la circulation, il colorerait la masse entière du lait, et non la crème seulement.
Des fermiers, qui ont observé avec soin les circonstances dans lesquelles se produit le lait bleu, se sont fait une idée plus juste de ce genre d'action. Ils regardent comme la cause  de ce singulier effet, l'état dur et coriace des pâturages occasionnés par l'aridité du sol ou par la sécheresse.
Dans un travail remarquable par le soin qu'il y a apporté, M. Germain, pharmacien à Fécamp, a été conduit à admettre cette opinion qui se trouve corroborée par un grand nombre d'observations qui lui sont propres, et dont nous parlerons plus loin.
Quelques personnes avaient cru que certaines espèces de plantes, comme la scorpionne par exemple, occasionnaient le lait bleu; des vaches nourries avec cette substance ont présenté un résultat opposé, et il résulte d'expériences faites à diverses reprises, que le lait ne prend pas de couleur bleue quand on nourrit les vaches avec des plantes qui contiennent des matières colorantes bleues: nous citerons par exemple le pastel, qui fournit la plus belle des substances colorantes, l'indigo, et qui ne donne aucune couleur au lait des vaches auxquelles on l'a administré.
Il paraît certain que quelques personnes qui exhalent une odeur forte, constamment ou dans certaines circonstances, peuvent occasionner du lait bleu aux vaches qu'elles traient; ce fait est appuyé sur un grand nombre d'observations faites par divers cultivateurs.
La substance qui occasionne la couleur bleue du lait est une moisissure qui se développe sur la crème, et s'accroît assez rapidement. M. Germain en attribue le développement à l'influence des causes suivantes, en s'appuyant sur beaucoup d'observations faites avec un grand soin:
1° La mauvaise disposition et la mauvaise tenue des étables, et l'habitude de ne les point aérer;
2° L'influence de certains pâturages, et principalement de la vesce, du trèfle et des herbes dures et coriaces;
3°La nourriture mal réglée et mal entendue;
4° Le mauvais pansement;
5° La mauvaise habitude de laisser les vaches au soleil du midi pendant les grandes chaleurs;
6° La malpropreté des vaches et des ustensiles et vases qui servent au lait;
7° La négligence de faire boire les vaches fréquemment pendant l'été.
Il paraît en outre que celles qui suivent peuvent résulter d'une action marquée: la fatigue, le mélange de lait de plusieurs vaches, l'influence de certaines personnes qui exhalent une odeur forte.
M. Germain tire de toutes ses recherches les conclusions suivantes:
1° Que l'altération du lait est le plus souvent le résultat de la santé des vaches;
2° Que les mêmes circonstances n'agissent pas également sur toutes les vaches, selon leur constitution et leurs dispositions;
3° Qu'après l'émission du lait, l'influence qui s'exerce sur lui n'est pas la même lorsqu'il n'est pas dans le même lieu et dans les vases différents;
4° Que les plantes légumineuses et les herbes dures et coriaces paraissent provoquer le lait bleu, tandis que les crucifères semblent au contraire le prévenir et même y remédier;
5° Que le sel marin semble quelquefois prévenir le lait bleu;
6° Qu'il est impossible de prévoir d'une manière sure que le lait deviendra bleu aussitôt qu'il est trait, si ce n'est peut être par la forte odeur et le goût de vache qu'il présente;
7°  Que par l'ébullition et son emploi dans le fromage, le lait perd son odeur et son goût et la propriété de devenir bleu;
8° Que la partie viciée du lait est le fromage;
9° Que le beurre est blanc et court, mais que par la fusion il devient jaune et ne diffère en rien du beurre ordinaire.
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Journal des Connaissances Utiles, avril 1834.

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