jeudi 8 mai 2014

Conservatoire des Arts et Métiers.

Conservatoire des Arts et Métiers.


Ce n'est pas sans peine que l'industrie a peu à peu conquis le rang qu'elle occupe aujourd'hui dans la société. Longtemps on a méconnu son importance: ce qui le prouve surtout, c'est l'absence de toute institution destinée à favoriser ou à régulariser ses progrès, lacune qui commence tout au plus à disparaître; en effet, on a vu s'élever en France quelques grands établissements consacrés à l'industrie; mais ils sont loin d'avoir pris déjà tout leurs développements possibles.
Dans le nombre, figure au premier rang le Conservatoire des Arts et des Métiers. L'idée première de sa création est nettement exprimée dans un rapport fait à la Convention par le représentant Alquier.
"Dans cette vaste collection, l'histoire des découvertes de l'esprit humain sera écrite parmi les instruments de tous les arts, de toutes les professions, depuis les outils du vannier jusqu'au métier où sont tissues les étoffes les plus somptueuses; depuis le simple levier jusqu'à la machine à diviser de Ramsden... Hâtons-nous d'encourager et de favoriser nos artistes, si nous voulons n'avoir point à redouter les ouvrages perfectionnés de nos voisins. Cette industrie dont se vantent les Anglais, ils nous la doivent, du moins quant à quelques objets d'une haute importance. Ils ont souvent profité, pour s'enrichir de nos découvertes, des refus impolitiques qu'a faits à différentes époques l'ancien gouvernement, d'accueillir les inventions les plus utiles. Ainsi, le métier à bas, inventé à Nîmes, Le balancier à frapper les médailles, une nouvelle matière pour la monnaie, un nouveau métier à gaze et l'art de teindre le coton en rouge, leur furent portés par des inventeurs découragés dans notre propre patrie."
Donc le but qu'on se proposa en fondant le Conservatoire fut de trouver un centre commun où vinssent converger tous les rayons de l'industrie française. On voulait à la fois présenter, au moyen de leur monuments, l'histoire de la marche progressive des arts et métiers et le tableau de l'état définitif où ils sont parvenus. Ce devrait être en même temps un musée pour les curieux et les savants, une école pour les commerçants, un conseil et un modèle pour les praticiens. Tant d'excellentes intentions n'ont pu être immédiatement complètement réalisées.
La première collection de machines tant soit peu nombreuse paraît avoir été formée par Vaucanson, dont le nom ne peut être ni assez connu ni assez révéré parmi nous. La plupart de celles qu'il recueilli étaient de son invention. A sa mort, il les légua au roi. L'hôtel où elles étaient conservées fut appelé d'après lui hôtel Vaucanson ( il était situé rue de Charonne) ; et le contrôleur-général des finances fut chargé de surveiller cette collection et de l'augmenter. En 1791, neuf ans après la mort de l'illustre mécanicien, cette espèce de musée où l'on avait compté primitivement 60 machines, en contenait 500 déjà. Cependant, on pense bien qu'elle était loin d'être complète.
Dans le même temps, l'académie des sciences entretenait dans quelques salles du Louvre un autre dépôt de machines, qui lui avait été léguées par le sieur Pajot d'Orembray, dépôt qu'elle enrichissait de temps en temps de quelques additions importantes.
Enfin, l'industrie agricole avait son musée particulier, établi rue de l'Université, et où se faisaient remarquer un grand nombre d'instruments aratoires appartenant à diverses contrées.
Vint la révolution, puis cette terrible Convention, qui détruisit tant de choses, mais qui en édifia bien aussi quelques unes. Vers la même époque où elle décrétait l'Ecole Polytechnique, en 1797, elle ordonna sur la proposition de Grégoire, qui rendit alors d'importants services à la cause des sciences, l'établissement d'un conservatoire des arts et métiers, collection plus vaste et mieux entendue, dont les trois sources que nous venons de citer vinrent composer le premier noyau. Ce fut en 1798, une année après le décret, qu'on transporta toutes leurs richesses dans un nouveau local, l'abbaye de Saint-Martin des Champs, rue Saint-Martin. 



Depuis cette institution, confiée à l'administration éclairée de plusieurs savants célèbres, leur a dû des améliorations successives. Ce furent Grégoire d'abord, puis Conté, J. Montgolfier, Molard aîné , le duc de la Rochefoucauld-Liancourt, Christian et les directeurs actuels. Les collections se sont peu à peu grossies, au moyen de cadeaux offerts par diverses personnes, rarement au moyen des subsides peu considérables accordées par le gouvernement.
Le seul catalogue qui en existe a été publié en 1818. Quoiqu'il ne mentionne pas tous les objets que possède aujourd'hui l'établissement, il donne cependant une idée assez exacte de sa richesse. Douze salles étaient consacrées aux machines et une aux dessins. Les premières étaient:
 1- La galerie d'entrée contenant.......................................................105 machines.
 2- La salle d'agriculture..................................................................... 504 modèles.
 3- La salle de filatures, en deux parties..........................................    78 machines.
 4- La grande galerie, relative à l'architecture................................ 530 modèles.
 5- La galerie des échantillons........................................................... 365 modèles.
 6- La salle de Vaucanson.................................................................. 129 pièces.
 7- La salle de l'Evantail..................................................................... 272 pièces.
 8- La salles des tours........................................................................    45 tours.
 9- Salle latérale sur le jardin............................................................  138 pièces.
 10- Salle des outils............................................................................  210 outils.
 11- Salle de l'horlogerie....................................................................  274 articles.
 12- Cabinet de physique, divisé en 9 parties:
Mécanique                                      108 articles.
Hydrostatique                                  35 articles.
Pneumatique                                    86 articles.
Acoustique                                        27 articles.
Pneumato-chimie                            40 articles.
Galvanisme                                         9 articles.
Magnétisme                                      29 articles.
Optique                                            167 articles.
Objets divers                                     42 articles
                                   Total                                                                   627
                                                                                                            _________
                                                                                En tout                 3327 pièces.

La salle des dessins en contient une suite nombreuse, placée dans des tiroirs, et il y a encore une belle bibliothèque d'ouvrages, écrits dans plusieurs langues sur les sujets qui intéressent l'industrie. Depuis deux ans, le Conservatoire figure sur le budget pour des sommes assez considérables qui ont permis de faire de nombreuses acquisitions. Il en est résulté la nécessité d'un nouvel arrangement dans la collection. On procède dans ce moment à un classement de l'ensemble auxquels les progrès des arts chimiques et mécaniques serviront de base, et l'on se propose d'ouvrir de nouvelles salles, afin de développer suffisamment le vaste plan qu'on a conçu. Nul doute enfin qu'on ne fasse paraître un catalogue qui permettra d'apprécier tous ces perfectionnements.
Cependant le Conservatoire n'est pas réduit à cette utilité d'apparat en quelque sorte passive. Il a été appelé par ses fondateurs à exercer sur les progrès de notre industrie une influence plus directe. Dès son origine il a été soumis à la direction d'un conseil, et ce conseil ne doit pas se borner à la surveillance de l'établissement. En l'instituant, on a eu la pensée qu'à lui pourraient s'adresser les artistes qui auraient fait quelques inventions utiles, et que sur sa recommandation ils pourraient être mis en rapport avec les capitalistes disposés à leur fournir les moyens de faire valoir ces inventions.
En outre, il a été crée, en 1810, une école gratuite de dessin, que dirige maintenant avec succès un habile professeur, M. Leblanc, dont le talent comme dessinateur de machines est si hautement et si généralement accepté (1).



Depuis, et sous la restauration, il a été établi des cours publics, celui d'économie industrielle   ( confié d'abord au célèbre J. B. Say, maintenant à M. Blanqui aîné, l'un de ses disciples les plus distingués), ceux de mécanique, de chimie et de physique appliquées aux arts, dont les chaires sont dignement remplies par MM. Charles Dupin, Clément Désormes et Pouillet.
Enfin, depuis quelques années, les professeurs du Conservatoire ont conçu une excellente idée, dont l'exécution ajoute incontestablement à l'utilité de l'établissement auquel ils sont attachés: c'est un portefeuille industriel, dans lequel sont rassemblés les calques ou les dessins de toutes les machines nouvelles et de tous les appareils, dont les modèles ne peuvent être exécutés. Cette collection, déjà fort étendue, forme le complément de la collection des modèles.
Ainsi, cette institution, comme toutes les choses humaines, n'a que peu à peu acquis le degré d'importance auquel elle est parvenue.
Mais il lui appartient, nous le croyons, d'acquérir un caractère encore plus éminent. Destinée dans l'origine à servir de centre régulateur à l'industrie française, elle est loin d'avoir atteint ce but. Toutefois elle est en marche, ses progrès passés sont un garant de ses progrès futurs. Mais ceux-ci ne dépendent pas uniquement d'un gouvernement qui n'agit avec efficacité qu'autant qu'il reçoit l'impulsion de l'opinion qui lui force la main. Que le public se montre plus disposé à profiter des nombreuses ressources que lui offre le Conservatoire des arts et métiers, et cet établissement s'améliorera nécessairement sous l'influence de son patronage, le plus durable et le plus puissant de tous.

                                                                                                                     A. J.


(1) Tous les dessins d'appareils et de machines publiés dans le Journal des Connaissances Utiles sont l'ouvrage de M. Leblanc: s'il est arrivé que souvent l'exécution n'en ait pas été satisfaisante, il faut l'attribuer à l'immensité du tirage qui, à la longue, fatigue quelquefois le trait et foule les lettres de renvoi. Le Journal des Connaissances Utiles suit en France les progrès de l'imprimerie et de la fabrication du papier: il ne peut les devancer! L'essor qu'il a donné aux publications, à bon marché, la masse des lecteurs qu'il a formé, la concurrence qu'il a fait naître ne seront pas des encouragements stériles; on marcherait bien plus vite en France dans la voie du progrès, si le public savait attendre!

Journal des Connaissances Utiles, mars 1854.

                                                    

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