dimanche 9 mars 2014

Gyp.

Gyp.

Vous l'avez tous rencontrée dans un de ces mille endroits où vit le Paris intellectuel: à quelque grande première, à la Librairie Nouvelle, à moins que ce ne soit au Bois, où elle va étudier d'après nature ses personnages favoris: Paulette, Madame d'Hautretemps, Folleuil et les autres. Où que vous l'ayez vue, même sans la connaître, vous l'avez remarquée, et, après avoir discrètement dévisagé cette délicieuse figure Parisienne, vous vous certainement dit: qui est-ce?
On vous a répondu: Parbleu! c'est Gyp, l'auteur d'Autour du mariage, de Petit Bob, de Loulou, Gyp, le romancier, l'humoriste, l'auteur dramatique, le critique d'art. 



Gyp, en effet, ne dédaigne pas , à ses moments perdus, de marcher sur les savantes traces des Delécluze et des Planche, et rien n'est plus délicieusement ironique que de la voir au Salon annoter gravement son catalogue et peser dans sa conscience l'éloge ou le blâme qu'il convient de distribuer aux maîtres contemporains. L'esthétique n'est d'ailleurs qu'un passe-temps pour ce cerveau toujours en travail. Son vrai titre de gloire, son oeuvre, c'est cette longue suite de fantaisies publiées un peu partout et réunies ensuite en volumes, véritable Comédie Humaine, qui est celle de Balzac ce qui serait une vive et légère opérette à une magnifique et sombre épopée.
Il n'est pas grand, le monde où s'agitent les joyeux fantoches de Gyp: il va du Boulevard au Bois en passant par les Cercles; ses extrêmes limites sont Trouville et Monaco. Mais, comme elle en connait bien les travers, les plaisirs frivoles et la turbulente nullité! Mondaines en quête d'aventures, jeunes filles précocement émancipées, vieux militaires galantins, clubmen désœuvrés, maris plus ou moins résignés à leur sort, y sont peints de main de maître, avec une ironie sans fiel qui désarme ceux-là même que l'auteur a visés. Ici, point de sombres drames, point de luttes ardentes et désespérées pour l'Argent, pour l'Amour, pour la Gloire. Les passions humaines se sont rapetissées à la taille des personnages: on ne hait pas, on débine; on n'aime pas, on flirte; on ne cause pas, on potine dans une langue bizarre et hardie qui n'a que de très vagues rapports avec celle enseignée par l'Académie, mais qui n'en est pas moins la langue du high life. En somme, sous leur forme hardie et gouailleuse, ces petits tableaux de la vie parisienne sont d'un observateur perspicace, et l'austère Revue des Deux Mondes a fait preuve de sagesse autant que de courage en accueillant, tout récemment, Mademoiselle Ève, le dernier fruit de cet original et fantaisiste talent.
Sait-on que sous l'énigmatique pseudonyme de Gyp se dissimule un des noms les plus retentissants de la France moderne? Gyp, de son vrai nom Mme la comtesse de Martel, est l'arrière-petite-fille du vicomte Riquetti de Mirabeau, frère du célèbre député du tiers, celui qu'à l'armée des Princes on avait surnommé Mirabeau-Tonneau. N'est-il pas curieux de voir la petite-nièce du grand orateur continuer à sa manière son oeuvre et donner, elle aussi, de sa plume déliée, d'ironiques leçons à ses contemporains.

                                                                                                                         O. F.

Revue illustrée, Juin 1889-Décembre 1889.

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