vendredi 10 janvier 2014

Un éléphant blanc au jardin des plantes.

Un éléphant blanc au jardin des plantes.


M. Doumer a du déployer de réelles qualité de diplomate pour se procurer cet animal sacré, et le soustraire aux respects et aux offrandes qui l'attendaient. Il ne sera l'objet, à Paris, que de la curiosité; mais il lui vaudra force morceaux de pains ou de brioche.
Le nouveau pensionnaire du Muséum est une femelle qui répond au doux nom de Tsarit. Elle mesure 1,74 m et est âgée d'environ huit ans.
On la débarqua l'autre dimanche à la gare de Lyon.




Sur le quai, je retrouve avec mon ami M. Sauvinet, M. Secques, préparateur au laboratoire de zoologie de la faculté de Médecine, à qui sont dues les photographies qui accompagnent cette note.
Peu à peu, le nombre des curieux, hommes d'équipe inoccupés, devient plus grand; la curiosité s'aiguise, les plaisanteries se croisent.
Enfin, le fourgon est amené près d'un quai élevé. L'homme, un Cambodgien, montre au vasistas sa ronde face jaune aux yeux battus et étonnés.
M. Sauvinet redoutait certaines résistances du pachyderme que ce voyage de vingt-sept heures sans sommeil, les éléphants sont très sensibles à cette privation, avait dû mettre de méchante humeur. Il n'en fut rien, et la bête suivit docilement son cornac qui la maintenait avec une simple corde passée autour du cou et le crochet appuyé sur l'oreille. Quelques oranges adroitement glissées dans sa bouche font comprendre à Tsarit qu'on ne lui veut aucun mal. Mais voilà que la massive voyageuse, sur un geste de son cornac, plie le genou, le front à terre, la trompe repliée en dedans. 
Trois fois Tzarit s'incline de la sorte.




- Mais il n'est pas blanc! dit à côté de moi un homme d'équipe.
En effet, la teinte est grise, rendue peut-être plus claire par un poil blanc très abondant sur le dos et la tête. A hauteur des épaules et des oreilles, l'on distingue une coloration rougeâtre, sombre,  comme si l'absence ou la diminution du pigment laissait transparaître la couleur du sang. Les paupières et le globe oculaire sont rougeâtres. Ce sont bien les caractères connus de l'Albinos, traduction scientifique de l'expression: un éléphant blanc.
Et maintenant, en route pour la Ménagerie. Tsarit, attachée à l'arrière du camion suit docilement. 



Le Cambodgien, rassuré, a cédé la corde à un gardien, pour fumer une des cigarettes qu'on lui offre de divers côtés... des enfants suivent et les promeneurs s'arrêtent pour regarder curieusement passer l'étrange caravane.

                                                                                                                P. B.

La Vie Illustrée, 11 mai 1899.

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