Les nuances d'un salut.
Comment un homme salue une femme.
Les scrupules de notre siècle sont bizarres et illogiques.
En voici un d'importation étrangère:
"Un homme ne doit saluer une femme qu'après avoir reçu l'autorisation muette par un regard, un indice affirmant qu'elle le reconnait et accepte d'en être reconnue."
Cette précaution peut séduire, au premier abord, par un faux air de délicatesse discrète, mais elle n'a aucune raison d'être pour nous; la femme française, honnête, rangée, bonne ménagère, ne craint jamais d'être vue. Un homme qui a été présenté à une femme, qui lui a parlé, qui s'est trouvé avec elle dans une réunion privée, un dîner, est autorisé à la saluer et il doit le faire spontanément et respectueusement quand il la rencontre. J'irai même plus loin, l'abstention conseillée par le code exotique deviendrait une injure; admettre un instant, que la femme ne veut pas être vue, c'est supposer dès lors qu'elle fait une démarche inavouable.
Le salut de l'homme est un hommage dû à la femme; celle-ci a, dans sa manière de le rendre, tant de nuances variées à sa disposition qu'il lui est facile d'établir, sans équivoque, la valeur des relations qu'il doit dénoter.
Un salut correct peut être hautain, froid, indifférent, amical, condescendant.
Comment cela? d'une façon fort simple: l'inclinaison de la tête sera plus ou moins profonde, le visage demeurera impassible ou se fera souriant; enfin, le regard adressé à celui qui salue pourra être vague ou direct, bref, froid ou affectueux. On peut ainsi établir bien des combinaisons.
D'ailleurs une femme ne doit point considérer le salut d'un homme comme une démarche spéciale, une manifestation significative adressée à sa personne et qui tend à lui faire comprendre, sans paroles, des sentiments profonds; c'est le tort de certaines jeunes filles qui attachent à un salut une importance exagérée et souvent une signification très inexacte; aussi les voit-on rougir, rouler des yeux effarouchés, rendre le salut gauchement; un manque de simplicité produit seul tout ce trouble; une femme vertueuse et sans prétentions n'a pas de ces émotions déplacées.
Un monsieur jeune ne salue pas une toute jeune fille quand elle est avec une bonne; c'est une réserve dont les parents lui savent gré et qui implique une bonne éducation; elle n'aurait bien entendu, aucune raison d'être entre amis d'enfance, entre danseurs, entre partenaires de croquet ou de tennis; elle ne s'applique qu'au relations peu intimes.
Les fournisseurs peuvent saluer, ils doivent le faire avec beaucoup de respect; une femme ne saurait se froisser de ce salut; d'ailleurs, à la façon dont elle le rend, elle indique nettement si elle l'accepte, le tolère ou s'en trouve offensée, et donne, par là, l'indication nette pour l'attitude ultérieure.
Lorsqu'un homme se trouve en compagnie douteuse, doit-il saluer une femme qu'il respecte? on a dit non, on a dit oui; l'une et l'autre solution convient tout à tour. Le conseil le plus sage est celui-ci; il ne doit pas la saluer parce qu'en ce moment-là, il n'est plus de son monde et aussi parce qu'il l'obligerait, en lui rendant son salut, à s'incliner devant des personnages qu'elle ne doit pas connaître.
Le mieux, c'est de s'arranger de façon à ne pas être vu, ou à faire semblant de ne pas voir; si la chose est invraisemblable, comme dans un passage étroit, aux abords d'un guichet, l'homme se sépare un peu de son groupe, afin d'être moralement seul pour saluer et pour recevoir le salut.
Mme Elise.
mon Dimanche, Revue populaire illustrée, 31 mai 1903.
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