lundi 6 janvier 2014

Ce que coûtent les visites royales.

Ce que coûtent les visites royales.


En Australie, aux Indes, en Angleterre. Comment notre république reçoit les souverains.


Les empereurs et les rois, même les princes aspirant au trône, coûtent cher à recevoir, à héberger, à divertir. On pourrait contenter, à peu de frais, leurs augustes personnes, mais leur suite nombreuse est avide de spectacles nouveaux, de plaisirs officiels inédits. Autrefois, le peuple prenait un rôle important dans les réceptions royales. Ses cortèges, ses mascarades et ses jeux mettaient en fête les vielles rues ornées de fleurs et de feuillage. Les simples citoyens laissent aujourd'hui à leur gouvernement et aux municipalités le soin d'organiser, de créer la joie officielle. Tout se passe en banquets, en feux d'artifice et en réceptions plus ou moins imposantes;
Lors de la visite du duc et de la duchesse de Cornouailles et d'York, les Australiens dépensèrent deux millions en festins et en girandoles. Et pour faire plus accueillantes leurs maisons, les sujets d'Edouard VII disposèrent d'une somme au moins égale.
Les Indes, pays de la famine éternelle, dépensèrent une dizaine de millions l'an dernier, à l'occasion des grandes fêtes du durbar de Delhi; les Indous affamés serrèrent d'un cran de plus leur étroite ceinture.
On peut évaluer à une centaine de millions les frais nécessités par les réceptions offertes  à la reine Victoria durant son règne. Son dernier voyage en Irlande coûta à ce pays de misère plus de un million et demi. Certains grands propriétaires déboursèrent en l'honneur de leur souveraine, près de cent mille francs chacun. Et l'on vit de pauvres citadins se cotiser pour recevoir dignement Sa Gracieuse Majesté. L'honneur de l'Irlande fut sauf et l'on put présenter à la reine les clés des vieilles villes: des clés en or ornées de diamants.
Ajoutons, incidemment, que les déplacement de la feue reine hors de ses Etats, ses séjours sur la côte d'azur, par exemple, coûtaient environ quatre cent mille francs. Sa Majesté payait cinquante mille francs par mois pour loger sa petite cour de soixante à soixante-dix personnes.

Comment Paris reçoit ses hôtes.

En tout temps, Paris fit somptueux accueil aux souverains qui le visitaient.
De Joinville à M. Guizot, la chronique est pleine de récits relatifs aux fastueuses réceptions faites par les Parisiens à leurs hôtes royaux ou princiers.
Voici Pierre-le-Grand qui vient voir le régent (1717). Philippe le reçoit magnifiquement. Paris se saigne aux quatre veines, on dépense des millions pour le plus grand ennui de l'ex-charpentier impérial de Saardam, qui fréquemment s'esquive pour aller s'amuser loin des protocoles.
Louis XIV, Louis XV, Louis XVI donnent des fêtes royales à leurs augustes visiteurs, Paris s'amuse et gronde; on commence à danser sur le fameux volcan révolutionnaire.
Le volcan crève, puis s'apaise, Napoléon remplace le général Bonaparte et le premier consul Bonaparte, et les fêtes succèdent aux fêtes et les visites aux visites, et Paris illumine toujours entre deux batailles.
Il se dépense encore davantage, lorsque la reine Victoria vient faire à Napoléon III son unique visite; la petite note monte à une dizaine de millions. Puis, pendant l'exposition universelle de 1867, c'est la visite du Tsar, du roi de Prusse, accompagné de Bismarck et de M. de Moltke. Cette réception coûta 4 millions.
Les fêtes données au shah quand il vint en France au lendemain de nos désastres, eurent un éclat tout asiatique. Et le peuple acclama le monarque qui nous témoignait quelque sympathie en un temps où l'Europe nous faisait dédaigneuse mine.
On sait l'éclat de la réception faite au tzar, il y a six ans. Les cinq journées de "galant accueil" coûtèrent plus de six millions à l'Etat. Mais si l'on met en ligne de compte les dépenses faites par les simples particuliers, on peut dire que lors de la visite de Nicolas II, les français dépensèrent plus de trente millions.
Pour l'Exposition de 1900, on loue l'ancien palais du Dr Evans. L'entretien et la location de cette demeure splendide se chiffrent en quelques centaines de mille francs. Les rois se font rares mais il en vient. On voit le shah de Perse, le roi de Suède, le roi des Belges. Ils coûtent chacun, quelques millions: réceptions, revues, dîners, décorations, etc.
Une seule reine arrive, toujours en 1900. Mais celle là ne coûte pas cher: c'est l'ex-reine de Madagascar. On la loge dans un petit appartement meublé, aux Ternes, on la promène quelquefois en landau, souvent en fiacre, et Paris n'a pas illuminé en son honneur.
La réception d'Edouard VII a coûté près de deux millions. Paris s'est montré tiède et ne s'est pas ruiné en lampions. C'est le monde officiel qui a payé la note.
La poudre est hors de prix, et les salves font monter les frais. Tout coup de canon revient cher et coûte encore davantage parfois. Ainsi, les 54 coups tirés par une batterie de Bizerte, sur un radeau, lors du voyage de M. Loubet en Tunisie, sont revenus à 80.000 francs; 1.500 francs le coup.
Le simple passage d'un roi, ou d'un roitelet, est célébré par notre république comme il convient. La modeste réception faite au roi de Siam greva le budget de vingt-sept mille francs: cinq mille francs pour la table, douze mille francs par semaine pour les appartements; deux mille francs pour le train venant de Bruxelles et cinq mille francs en frais de voiture.

Les souverains à Londres.

Le khédive coûta davantage aux Anglais en 1900. Le plat en or sur lequel on lui offrit le pain et le sel valait cinq mille francs. Et l'on dépensa cinquante mille francs pour sa table.
La ville de Londres a payé en 1889, cinquante mille francs pour recevoir le shah de Perse; en 1891,  soixante-dix-sept-mille francs pour l'empereur d'Allemagne et vingt-sept mille francs en 1893 pour fêter le roi du Danemark.
Cette petite récapitulation prouve que l'on traite les rois selon leur mérite, c'est à dire selon leur puissance. Quand les souverains désirent savoir exactement la figure qu'ils font dans le monde, ils n'ont qu'à comparer entre eux les différentes notes des réceptions royales..
Tout comme les simples bourgeois, les Etats se montrent plus particulièrement aimables dès qu'il s'agit de gagner la sympathie de leurs visiteurs couronnés. Et cela explique que Londres dépensa, jadis,  six cent mille francs pour sourire au sultan. Les londoniens traitèrent le Commandeur des croyants en oncle à héritage.
Si des pays comme l'Angleterre ou la France peuvent traiter les empereurs ou les rois sans obérer outre mesure leur budget, il n'en est pas de même pour les particuliers désireux d'ouvrir leur maison à une majesté, pour quelques instants seulement. Car les souverains ne peuvent dispenser comme autrefois des charges et des honneurs. Leur visite n'apporte que des satisfactions d'amour-propre. Et elle coûte vraiment un peu cher.
Un lord, pour recevoir l'empereur d'Allemagne, déboursa en préparatifs et en mise en scène un million et demi. Et le souverain s'arrêta sous les lambris de l'Anglais à peine vingt-quatre heures. Affaire de vanité. Et si les descendants de ce traiteur de roi se trouvent un jour sans ressources, ils auront la joie de boire de l'eau pure dans le verre de Guillaume.

Mon Dimanche, Revue populaire illustrée, 7 juin 1903.

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