lundi 16 décembre 2013

Les Paï-Pi-Bri.

Les Paï-Pi-Bri.

Le Jardin d'Acclimatation de Paris a pris l'habitude, depuis quelques années, de réunir successivement un certain nombre de spécimens variés d'habitants de pays lointains et barbares, dont les types sont généralement peu connus en France. Ces exhibitions sont toujours très intéressantes et très instructives; aussi les Parisiens s'en montrent-ils fort curieux.
Cette année, ce sont des Paï-Pi-Bri qui ont campé, et qui camperont même peut-être encore à l'heure où cet article paraîtra, sur le vaste emplacement réservé aux installations des troupes exotiques. Il est fort probable que vous n'aviez jamais entendu parler des Paï-Pi-Bri, dont le nom, à la vérité, presque ignoré, ne se trouve pas mentionné dans la plupart des précis de Géographie que vous avez entre les mains.
Les Paï-Pi-Bri ne sont pas, à proprement parlé, un peuple; ils constituent plutôt un ensemble de tribus appartenant à ces populations connues sous le nom générique de Grébos ou Jack-Jacks, et qui vivent en Afrique, dans cette contrée du golfe de Guinée qu'on appelle la Côte de l'Ivoire. Les indigènes installés sur la pelouse du Jardin d'Acclimatation, au nombre de soixante-six, hommes, femmes et enfants, sont d'autant plus curieux à étudier que, les territoires dont ils sont originaires étant encore presque inexplorés, quoique voisins de nos possessions, leurs mœurs et leurs habitudes étaient jusqu'ici mal connues.




Les Paï-Pi-Bri sont forts, vigoureux et, en général, de taille assez élevée. Ils se nourrissent de riz, de bananes et du produit de leur chasse et de leur pêche. Ils aiment particulièrement les mets très épicés dans lesquels dominent le poivre et le piment.
D'instinct belliqueux et souvent en guerre entre eux, les Paï-Pi-Bri sont d'une grande habilité à tous les exercices du corps. Aussi les avons-nous vus au Jardin d'Acclimatation se livrer à des simulacres de combats très intéressants. Armés de fusils à pierre et d'arcs et de flèches, ils se divisaient en deux camps, dont l'un attaquait et l'autre défendait les huttes qu'ils s'étaient construites pour y loger pendant leur séjour au Bois de Boulogne. Les spectateurs de ces exercices de guerre pouvaient ainsi avoir l'illusion d'une véritable bataille entre deux peuplades sauvages. Rien de saisissant, en effet, comme le spectacle de ces démons noirs, poussant des cris sauvages pour s'exciter mutuellement au combat, observant avec soin les règles d'une tactique primitive basée sur la ruse, et enlevant de vive force le village défendu par l'ennemi supposé.





Si les Paï-Pi-Bri sont des guerriers expérimentés, ils sont également bons chasseurs et bons pêcheurs. Ils ont une grande habilité pour diriger leurs pirogues et pour manœuvrer les énormes filets qu'ils fabriquent eux-mêmes avec l'écorce des baobabs, pour prendre les poissons dont ils sont très friands. 
La musique est l'art favori de ces exotiques. N'allez pas croire toutefois qu'ils soient sensibles à la musique artistique telle que nous la comprenons. Ce qu'ils aiment, c'est le bruit produit par des tam-tams, des espèces de castagnettes et quelques instruments à cordes de formes étranges. Plus leurs musiciens font de bruit, plus ils sont contents. Vous trouveriez horribles et assourdissants les prétendus morceaux qu'ils exécutent avec une conviction comique sur ces instruments primitifs.




Le costume des Paï-Pi-Bri est des plus sommaires. Dans leur pays, d'ailleurs, il fait assez chaud pour qu'ils négligent de s'habiller d'une manière compliquée. Le vêtement est le pagne, sorte de morceau d'étoffe qui se jette sur le corps et s'enroule autour de lui. Suivant la richesse de son propriétaire, le pagne est en soie ou en cotonnade; il est plus souvent en cotonnade qu'en soie.
Les Paï-Pi-Bri sont généralement intelligents. Ils se livrent avec les Européens au commerce de l'Ivoire de la noix et de l'huile de palme et du bois d'acajou. Comme ils ont l'esprit assez ouvert, surtout lorsqu'il s'agit de leurs intérêts, on peut espérer les amener petit à petit à comprendre les bienfaits de la civilisation. Peut-être, avec le temps, arrivera-t-on à faire d'eux de précieux auxiliaires pour nos relations commerciales avec les diverses tribus sauvages de l'intérieur de l'Afrique.

                                                                                                      Ernest Laurent.

Mon Journal, Recueil hebdomadaire illustré pour les Enfants, 28 octobre 1893.

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