vendredi 20 décembre 2013

La jeune dame et le cocher.


La jeune dame et le cocher.

Un instantané de la vie parisienne, pris au vol, en mai dernier; une de ces scènes rapides comme il s'en joue encore dans les rues de ce Paris si calomnié, où, quoi qu'on en dise, il se trouve encore de galants hommes pour protéger, et au besoin défendre les jolies femmes.
Il fait un temps de chien, la pluie et le vent font rage. Un fiacre s'arrête, au bord du trottoir, en face d'un grand magasin. Une jeune femme très élégamment habillée, s'apprête à en descendre; elle a des gants blancs comme c'est la mode aujourd'hui. Elle jette un regard navré sur la portière qui est toute éclaboussée d'eau sale, sur le marchepied où la bottine va enfoncer dans un épais lit de boue, sur la poignée qui est humide et maculée.
Elle a fort à faire de ramasser sa jupe autour d'elle, de déployer son parapluie, de se couler hors de la voiture, sans gâter sa toilette. Elle avait dans sa main le prix de la course. Elle le tend au cocher, et, au moment de partir, elle s'aperçoit que la portière est restée ouverte. C'est comme un mouvement instinctif chez la Parisienne. Elle saisit délicatement la poignée, à l'endroit qui lui semble le plus propre, et essaye de la fermer. La portière résiste. La dame insiste, et, après deux ou trois essais infructueux, elle arrive à fermer cette portière récalcitrante.
Elle s'éloigne en contemplant, avec une petite moue boudeuse, son gant tout mouillé qu'étoilent une ou deux petites taches.
Et cependant, le cocher s'évertuait, frappant à tout de bras sa rosse, à mettre la voiture en branle. Le cheval, sous un dernier coup de fouet se décida et partit, donnant au fiacre une secousse brusque. La portière, mal assujettie sans doute, se rouvrant, alla battre contre un candélabre et se brisa.
Le cocher, furieux, se jette à bas de son siège, court après la dame, la rattrape et se met à l'invectiver. Croiriez-vous qu'il a l'impudence de lui réclamer le prix de la portière en morceaux?
La dame, épouvantée, ahurie, filait du pas rapide de la Parisienne, sans répondre un mot, toujours suivie du butor qui l'accablait d'injures.
Il allait porter la main sur elle...
Heureusement, la dame était jeune et jolie. Un monsieur qui passait prit fait et cause pour elle, menaça l'automédon du sergent de ville, le poussa jusqu'à la voiture, et, saluant celle qu'il venait de protéger contre les brutalités de ce drôle, il s'éclipsa et disparut.
Elle le suivit un instant de l’œil, avec un petit air de dire:"Ce monsieur est vraiment bien poli, bien poli!... C'est dommage..."
Quelle jolie petite scène à mettre en vers! Coppée ne l'eut pas manquée, il y a dix ans.

Mon Dimanche, Revue populaire illustrée, 14 juin 1903.

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