mardi 31 décembre 2013

Chronique du Journal du Dimanche.

Chronique.

On vient de découvrir dans les archives du moyen âge un propriétaire modèle, fait pour servir d'exemple à ceux d'aujourd'hui.
A propos de l'ouvrage sur la Tour saint-Jacques publié par madame Clémence Robert dans la Patrie, on rapporte les détails suivant sur Nicolas Flamel, le célèbre alchimiste du quinzième siècle.
Nicolas Flamel (et ce fut peut être ce qui le rendit populaire à Paris) s'occupa beaucoup de la question des loyers. Entre autres choses, il avait fait construire dans le quartier Saint-Martin des maisons mixtes, qui étaient à la fois une revenu pour lui et une oeuvre de charité. Des gens de métiers étaient logés en payant leurs loyers au rez-de-chaussée et au premier; des indigents occupaient gratuitement les autres étages.
Une de ces espèces de cités ouvrières du moyen âge, appelée la maison du grand pignon, et située rue Montmorency, 51, dans le quartier du Temple, subsistait encore il n'y a pas longtemps; on y lisait l'inscription suivante: "Nous, hommes et femmes, demeurant en cette maison, qui fut construite en l'an de grâce 1407, nous sommes tenus de dire tous les jours un Pater et un Ave Maria en l'intention de maître Nicolas Flamel, notre bienfaiteur."
Bon propriétaire qui ne demandait pour le payement du terme qu'un Pater et un Ave.
Nous parlions l'autre jour, à propos des grands avantages qu'il y aurait à brûler les morts, des inconvénients des cimetières. En voici un auquel nous n'avions pas songé.
Un jeune homme, qu'on dit de jolie figure et d'un esprit distingué, était dernièrement sur le point de se marier avec une veuve, assez bien partagée sous divers rapports.
Tout était convenu pour cette union, lorsque le futur, ayant conduit un convoi au Père-Lachaise, s'arrêta par hasard devant le tombeau du mari défunt dont il se disposait à prendre la survivance.
Ce tombeau, d'un style élégant, était orné de fleurs entretenues par un jardinier, comme cela se pratique, et non par la veuve elle-même, occupée d'autres soins.
Sur la pierre tombale de marbre noir étaient tracées en lettres d'or l'épitaphe du défunt. Cette inscription, après les regrets de la veuve, donnait l'énumération de toutes les vertus de l'époux décédé.
La liste de ces vertus était si longue, qu'elle frappa le jeune homme de vives craintes. "Bonté du ciel! s'écria-t-il, je ne veux pas succéder à un pareil homme; comment pourrai-je en approcher jamais?"
Et le mariage ne s'est pas fait.
On parle d'une autre union rompue au moment de se conclure, mais dans des circonstances qui pourront avoir des suites tragiques.
Avant hier, un élégant jeune homme se présente au bureau de la grande poste, se disant M. de B..., et demandant si'il n'y a pas de lettres poste restante pour lui.
Le commis examine un paquet de lettres, en trouve une à l'adresse indiquée, et prie celui qui la réclame de montrer d'abord un passe-port, ou quelque autre papier constatant son identité, puis de payer vingt centimes de port, après quoi, il lui remettrait la lettre.
Mais le commis avait parlé à l'aise, en homme qui n'est pressé de rien, et sa phrase n'était pas à moitié débitée, que le jeune homme avait saisi la lettre et s'était élancé hors du bureau.
L'administration est responsable, et une lettre enlevée est chose grave. On se livre donc à l'instant aux recherches les plus actives, et on découvre le beau jeune homme dans l'allée d'une maison où il achevait de lire la missive pleine d'intérêt pour lui.
Ramené au bureau, et assailli de vives réclamations sur sa conduite, il jette la lettre sur une table en disant:
- Je sais tout ce que je voulais savoir, reprenez votre lettre et laissez-moi tranquille.
- Cela ne suffit pas, monsieur, dit un employé. Vous avez commis un délit dont il s'agit de rendre compte à la justice, et nous devons vous faire arrêter.
- Arrêter la comtesse de C...! s'écrie le jeune monsieur avec une indignation naïve.
Et, en même temps, ayant ôté son chapeau avec impatience, une belle chevelure d'un blond doré vint compléter l'aveu.
Les employés étaient stupéfaits, mais leur responsabilité n'était pas à couvert.
Tandis qu'ils réfléchissaient au parti à prendre, la noble dame écrivit sur l'enveloppe de la malheureuse lettre: "Décachetée par moi, la comtesse de C...". Puis elle la rendit aux commis en disant:
- M. de B... a droit de porter plainte; mais envoyez-lui la lettre avec ce mot-là, et il se taira.
La comtesse avait pris un moyen ingénieux pour connaître les secrets de l'homme auquel elle était sur le point se s'unir. Ces secrets, qu'elle soupçonnait, étaient de tendres relations avec une dame de Vienne, en Dauphiné.
Aussi, dès le lendemain, apprit-elle que M. de B... avait reçu la lettre annotée à neuf heures du matin, et qu'à dix il avait pris le chemin de fer de Lyon. A cette nouvelle, elle prit le convoi de midi.
Ils sont maintenant tous deux en chemin, et l'explication sera vive.
Tout n'est que hasard avant comme après le mariage. Nous empruntons au Courrier de la Semaine le récit d'une union des plus imprévus.
Mademoiselle Anna avait dédaigné tous les maris, tandis qu'elle était en âge de choisir; à vingt-neuf ans sonnés, il ne lui en venait plus guère et elle s'apprêtait assez tristement à rester fille.
Un jour, son oncle, le banquier B..., lui tint à peu près ce langage:
- Anna, tu as vingt-neuf ans; tu serais une jeune femme; tu n'es déjà qu'une vieille fille; tu te marieras difficilement et mal.
- Je ne me marierai pas, mon oncle.
- Je veux te marier vite et bien. Veux-tu m'obéir en tous points?
- Sans doute, mais...
- Pas de mais! tu vas quitter cette mise de demoiselle; je t'ai acheté des cachemires, des robes à volants, des dentelles; tu mettras tout cela.
- Cependant, mon oncle...
- Pas de cependant! Mets à ton doigt cet anneau de femme mariée; nous allons partir pour Spa; souviens-toi que tu n'es plus mademoiselle Anna, mais madame de C... Tu es veuve. Ton mari, un brillant capitaine de dragon, a été tué en Crimée, après une union qui n'a duré que six mois.
Ils partirent.
A Spa, la jeune veuve eut le plus brillant succès; elle fut entourées d'admirateurs et de soupirants, et n'eut qu'à choisir entre eux. Le comte de M..., fils d'un baron de l'Empire, fut agréé.
La veille du contrat, l'oncle prit à part son futur neveu.
- Mon cher ami, dit-il, ma nièce et moi, nous vous avons trompé... Anna n'est pas veuve.
- Ciel! M. de C... vit encore!
- Il n'a jamais existé; ma nièce est demoiselle, vous n'avez pas de prédécesseur.
Cette nouvelle combla M. M... de joie, et le mariage s'est déroulé la semaine dernière.

                                                                                                                   Paul de Couder.

Journal du Dimanche, 18 janvier 1857.

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