samedi 7 décembre 2013

Chronique du Journal du Dimanche.

Chronique du Journal du Dimanche.


Un suicide vient d'avoir lieu dans de bien tristes circonstances.
Le sieur X..., rentier, domicilié rue du Hasard-Richelieu, vivait depuis quelque temps séparé de sa femme, lorsqu'un procès gagné par celle-ci l'autorisa à rentrer au domicile conjugal.
Cette réintégration, qui devait s'effectuer promptement, était pour le malheureux X... un sujet d'inquiétude amère.
Deux jours avant le retour de cette épouse peu chérie, le sieur X... fit venir chez lui un ouvrier menuisier. Il lui fit d'abord sceller dans le mur un fort piton; ensuite, lui donnant des planches prêtes, il lui fit confectionner un coffre sur des mesures indiquées par lui, et qui n'était autre chose qu'un cercueil à sa taille.
Le lendemain matin, un voisin dont le regard pouvait plonger dans le logement du rentier, l'aperçut droit, immobile contre le mur, et pourtant ayant la pâleur, les yeux éteints d'un cadavre. Le commissaire de police de la section du Palais-Royal, étant aussitôt averti, fit ouvrir la porte.
On trouva le sieur X... pendu. A la corde qui le soutenait, il avait attaché une épingle en or, une bague chevalière, puis une lettre à sa femme.
Il lui disait que, puisqu'elle le contraignait à chercher le repos dans la mort, il la suppliait de l'y laisser tranquille; c'est à dire d'emporter la bague et l'épingle, qui venait d'elle; d'aller habiter un autre logement et de lui faire la grâce de ne plus porter son nom.
On a beaucoup parlé aussi du suicide d'un officier supérieur, qui a eu lieu dernièrement à Wiesbaden. Voici les détails de cette scène affreuse. Après avoir vu d'un regard désespéré ramasser par le croupier les derniers débris de sa fortune, l'officier posa sa tête sur la rampe du tapis vert devant lequel il était assis comme un homme plongé dans la méditation, et dans cette attitude il se brûla la cervelle avec un pistolet qu'il tenait chargé dans sa poche, et dont personne ne le vit se saisir. Le crâne fut mis en lambeaux. Cet horrible entr'acte ne produisit pourtant aucune épouvante ni aucun découragement dans l'esprit dénaturé des joueurs; tout ce qu'on voyait sur les figures, c'était l'ennui, l'irritation de cette interruption inattendue. Un Anglais s'en plaignit hautement et s'opposa à ce que le jeu fût suspendu pour la fin de cette triste journée. On procéda rapidement au nettoyage de la salle inondée de sang; les joueurs changèrent leurs paletots, également maculés; le croupier se replaça à la roulette et le jeu reprit son cours autour de la roue tournante.
Grand nombre d'autres suicides se sont accomplis ces jours-ci. Mais on ne voit plus guère de difficultés soulevées par le clergé au sujet des suicidés; ils vont comme les autres peupler les cimetières.
A propos des cimetières, M. Bonneau, dans le journal la Presse, fait un long et savant article pour engager le gouvernement à prendre des mesures pour que les morts soient brûlés, et non enterrés.
Chaque commune aurait un sarcophèbe, ou vaste fourneau destiné à cet usage, et on remettrait religieusement les cendres du corps aux parents. 
Cela aurait l'avantage:
  1° d'ôter le dégoût qu'inspire la mort quand on pense au tableau qu'offrirait, si on pouvait le voir, le bas-fond de nos cimetières;
  2° d'assainir l'air
 3° de laisser aux vivants ces larges espaces de terrain qu'occupent les morts, et dont le besoin se fait chaque jour mieux sentir
 4° d'entretenir le respect des morts et leur souvenir par la présence de leurs cendres au foyer domestique.
On jettera d'abord les hauts cris devant ce système, comme devant tout ce qui choque la routine, puis ensuite on y viendra.
L'inconvénient des inhumations trop promptes, dans lesquelles les gens sont enterrés vifs, serait ainsi évités, sans compter les autres bévues qui se pratiquent parfois dans les convois.
L'autre jour, par exemple, on enterrait un soldat mort à l'hôpital. Une escorte du régiment auquel il appartenait présenta la bière à l'église; l'aumônier dit les prières; les honneurs militaires furent rendus au cimetière. Mais on avait omis un léger détail. En rentrant à l'hospice, on trouva le mort, qui avait été oublié là. Le malheureux fut enterré sans bruit, les personnes qui s'étaient occupées de ses obsèques ne voulant pas recommencer la cérémonie.
Autre projet d'utilité publique. Savez-vous ce que coûte à nourrir une mouche? Non, Eh bien, les mouches mangent par an cinquante-deux mille trois cent quarante sept kilogrammes de sucre indigène et colonial. Un habile statisticien, étant aux eaux, s'est occupé de résoudre ce problème, qui touche de près à l'alimentation publique. En considérant d'ailleurs combien cet animal gourmand est aussi incommode, insolent, tourmentant, le savant disait: "on ferait bien de mettre à prix les têtes des mouches, comme dans la Haute-Marne on a mis à prix les têtes de vipères. ce serait un infaillible moyen de faire baisser énormément le prix des sucres, sans compter l'immense avantage de nous débarrasser d'hôtes fort importuns."

                                                                                                                           Paul de Couder.

Journal du Dimanche, 7 décembre 1856.

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