vendredi 13 décembre 2013

Ceux dont on parle.

Sociétaire de la Comédie française, Mlle Brandès demandait une augmentation notable dans sa participation aux bénéfices du théâtre. Mais cette augmentation, contraire au règlement, ne put lui être accordée et Mlle Brandès, ayant quitté la Comédie-Française, M. Claretie, administrateur général, armé du glaive qu'est le décret de Moscou, se verra dans l'obligation d'engager prochainement un procès avec l'artiste et de demander au nom du théâtre, sinon sa tête, comme l'affirme notre dessinateur, du moins un chiffre très élevé de dommages-intérêts.


M. Jules Claretie.


M. Jules Claretie est un homme universellement connu. Pourquoi cela? Vous allez peut être me dire: parce que c'est un grand écrivain. Il est vrai que M. Claretie a écrit un nombre immense de volumes. Et pourtant, je vous défie d'en citer un sur-le-champ, ce qui prouve bien que si M. Claretie a beaucoup écrit, ses œuvres ne laissent pas une trace indélébile en l'esprit de ses lecteurs.
Mais le mérite que l'on ne saurait lui contester est d'être un grand, un très grand travailleur. Sur la brèche du journalisme depuis l'âge de dix-huit ans, il a su aborder tous les sujets: roman, drame, histoire, sociologie, théosophie, philosophie, ethnographie, biographie, bibliographie, stratégie, archéologie, beaux-arts, chronique, feuilletons, politique même; il s'est fait aussi interdire la parole en 1865, à la suite d'une conférence sur Béranger, puis encore en 1868.
Touche à tout, M. Claretie a goûté du noble métier des armes: tel Marlborough, il est parti en guerre: il fut, en 1870, capitaine d'état-major de la garde nationale. Il se présenta aux élections législatives en 1871, et obtint plus de 17.000 voix dans le département de la Haute-Vienne; mais son concurrent en obtint davantage, et depuis lors, le rôle politique de M. Claretie a été des plus effacés.



Administrateur général de la Comédie-Française, M. Claretie, qui est un tendre, un agneau bêlant, est obligé souvent de part ses fonctions, de procéder à des exécutions qui lui fendent le cœur. C'est ainsi qu'il a du se résigner, par décision du Comité des artistes, à exécuter Mlle Brandès plutôt que lui accorder le grain de mil qu'elle voulait. Aussi M. Claretie, chargée de cette terrible décollation, est-il triste, triste, triste!...

Marthe Brandès.

C'est la fille d'Alexandre Dumas fils, fille adoptive s'entend: c'est dans une scène de Dumas qu'elle remporta son premier prix de comédie; c'est Dumas qui la fit entrer au Vaudeville et qui lui fournit son rôle de début: Diane de Lys; c'est dans une pièce de Dumas qu'elle débuta à la Comédie Française: Francillon. Et il est probable que si Alexandre Dumas vivait encore, ou s'il avait laissé un héritier de son nom et de sa gloire, Mlle Brandès aurait obtenu grâce à Dumas fils, ou à Dumas petit-fils, les honneurs et les profits que la maison de Molière vient de lui refuser.
Mais Dumas n'est plus et Mlle Brandès ne connait plus les triomphes d'autrefois, si bien qu'elle dut, il y a deux ans, abandonner précipitamment dans Patrie un rôle qui ne lui avait pas réussi, et qu'elle quitta le Théâtre Français pour porter ailleurs son talent méconnu.

                                                                                                         Jean-Louis.

Mon Dimanche, 22 mars 1903.

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