Conseils à une jeune mariée.
Les beaux-parents
Une jeune femme spirituelle et pleine de cœur, lançait récemment devant moi cette boutade philosophique:
"Pour être heureuse en ménage, il faut prendre la précaution d'épouser un enfant trouvé, afin de ne pas avoir de beaux-parents."
La déclaration est peut être un peu pessimiste, pourtant elle résume exactement l'impression commune à toutes les jeunes mariées.
La jeune femme qui se plaint n'a pas, en général, tous les torts. Souvent elle est entrée dans sa nouvelle famille avec de bonnes intentions, et s'apprêtait à s'attacher à ces beaux-parents qui, au jour de la demande en mariage, lui avaient dit, en lui tendant les bras: "Soyez notre fille!" De bonne foi, elle avait cru la proposition sincère, elle s'attendait à être traitée maternellement, c'est à dire qu'on louerait ses moindres efforts, et qu'on excuserait ses bévues.
Des les premières expériences, ses prévisions s'évanouissent, la déception même exagère sa rancune.
Mais pourquoi ces beaux-parents, qui devraient être pleins de tendresse, se font-ils redoutables?
Étudions un peu leur état d'âme.
Depuis 25 ou 30 ans, ils élèvent ce fils, ils ont concentré sur lui leurs espoirs, leurs ambitions; il est robuste, instruit; mais chacun de ses avantages représente une privation, un effort, un labeur de ses parents; sa mère a renoncé à ses fantaisies, le père a suivi un sillon monotone pour ne pas risquer, en des entreprises séduisantes mais aléatoires, le patrimoine de son héritier. Ils n'ont vécu que pour lui.
Le "cher enfant" se marie, quitte le foyer, va chercher le bonheur loin d'eux; leur folle tendresse était bien mêlée d'une pointe d'égoïsme, c'est inévitable, aussi la résolution de leur fils est une première blessure qui les rend malveillants.
Et puis, comment voulez-vous que leur sollicitude ne s'alarme pas quand ils voient la vie de leur enfant confiée à des mains fragiles et inexpérimentées?
"Aura-t-elle pour lui assez de dévouement, de patience, d'affection? se demandent-ils. Pourra-t-elle le guider utilement dans sa carrière?"
A ces préoccupations qui peuvent, justement, les rendre soucieux l'un et l'autre, la belle-mère en ajoute d'autres plus mesquines, mais qui lui semblent capitales: "Saura-t-elle faire un lait de poule? cuire le riz à point, varier les plats de sa table, installer la lessive? etc..."
Songez donc, jeune femme inconsciente, que vous représentez pour votre belle-mère tout un bloc d'idées, d'habitudes, de recettes étrangères et souvent contraire à celles que son expérience lui a données. Par ces mille riens qui font votre ménage, vous la choquez, vous l'exaspérez naïvement. C'est pourquoi la sourde, la légitime hostilité des beaux-parents, se révèle rarement chez le beau-père, qui déteste les scènes, et se manifeste chez la belle-mère en paroles agressives et même en reproches acariâtres. Où est le remède?
Une jeune mariée qui aura bien compris ces raisons de l'attitude de ses beaux-parents excusera leurs sévérités, même leurs injustices; elle sera moins susceptible et sa patience contribuera déjà à la paix. Dès le début, elle prendra en main toute la direction de son ménage, mais elle y apportera tant d'intelligence et de soins, qu'elle ne méritera aucun blâme.
Elle affirme ainsi son indépendance, qu'elle justifie d'ailleurs sans phrase, par son ordre et son activité. Elle écoutera avec une déférence affectueuse les représentations de ses beaux-parents, et même en tiendra compte; mais elle se pose, non comme une girouette qu'on dirige avec une impulsion brutale, mais comme un être raisonnable qu'on éclaire avec sagesse et modération.
Elle pourra de la sorte, leur témoigner du respect et de la tendresse, sans risquer d'être annihilée par leur sollicitude indiscrète et absorbante.
Mme Elise.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 15 mars 1903.
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