vendredi 29 novembre 2013

Chronique du Journal du Dimanche.

Chronique.


Avec les longues soirées d'automne, voici le temps des longues lectures, et par conséquent des lectures sérieuses.
C'est en ce moment que le beau livre de M. Jules Simon, le Devoir, est entre les mains de beaucoup de gens, et nous désirerions qu'il fût aux mains de tout le monde.
En effet, rien n'est plus précieux que la morale pratique, que la vertu ayant des applications à toute heure de la vie.
Tous les anciens dogmes commandent d'aimer les autres et de s'oublier soi-même; personne ne veut entendre cela, parce que l'amour de soi-même est aussi légitime que l'amour d'autrui.
Mais le monde serait sauvé le jour où on persuaderait aux hommes (ce qui est parfaitement vrai) que le bonheur propre dépend de celui qu'on répand autour de soi, et que les méchants sont les plus à plaindre. C'est ce qu'on trouve prouvé dans tous les estimables ouvrages de M. Jules Simon.
Maintenant, pour les heures de distraction, voici une bonne fortune.
Il se publie en ce moment à la librairie Martinon deux ouvrages hors ligne: nous voulons parler de la splendide édition des Fleurs animées à vingt-cinq centimes la livraison, et des Chansons nationales populaires, réunies et annotées, par Dumersan et Noël Ségur, à quinze centimes la livraison, recueil unique, qui contient plus de quatorze cents chansons, et qui est illustré de quarante gravures sur acier, ainsi que d'un grand nombre de gravure sur bois.
En fait de nouvelles, l'Europe entière se montre assez stérile; les grands événements font faute de tous côtés; et, ce qu'il y a de plus triste, c'est que, en même temps, l'attention publique se trouve attirée par les vols et crimes sans nombre.
En voici un du moins qui a échoué par un singulier hasard.
Dans une de ces dernières nuits, M. D., négociant à Tarascon, se rendait à Brives en cabriolet par un superbe clair de lune. Vers la côte de Puyfort, il voit apparaître au bord de la route, une femme à la mise élégante, portant un voile blanc baissé, et dont la démarche accuse une fatigue extrême. M. D., très-poli de sa nature, arrête sa voiture et demande à la dame la cause de ce pèlerinage nocturne à travers champs. " Monsieur, répond une douce voix, je suis bien malheureuse, à la suite d'une querelle avec mon mari, il vient de me contraindre à descendre de la chaise de poste, et il me faut finir à pied ma route... Suis-je encore loin de Brives, monsieur?
- Certes, madame, , répond M. D., vous en êtes très-loin. Mais veuillez, je vous en prie, prendre place dans ma voiture; j'aurai l'honneur de vous y conduire."
La dame hésite d'abord par timidité; mais la nécessité la force à accepter cette offre obligeante.
En chemin, M. D., qui a déjà réparé en partie les torts de ce brutal mari, veut réparer aussi son inconcevable froideur envers la belle dame... Il parle de clair de lune, de fleurs, d'oiseaux, et puis d'amour. Ce dernier sujet l'engage à se rapprocher sans cesse de la dame...ses lèvres effleurent déjà le voile de dentelle...
O terreur! sous le léger tissu, ses yeux rencontrent des yeux ardents, une affreuse barbe rousse, des traits mats et durs... La charmante dame est un brigand!
Sans se trahir par la voix ni par le geste, le brave négociant laisse négligemment tomber son mouchoir sur la route. Il arrête son cheval, et descend pour reprendre le mouchoir, qui a volé dans un fossé. Mais, comme il faut un instant pour le retrouver, il craint qu'il n'arrive quelque accident à la dame, et la supplie de descendre elle-même. Le brigand n'a pas plutôt mis pied à terre, que M. D. saute dans le cabriolet, et repart au grand galop, laissant l'ennemi derrière lui sur la route.
Il se dit en contant cette aventure presque incroyable, mais très-vraie, que cette dame était bien en effet de Brives-la Gaillarde!
Que nos lecteurs se méfient aussi de cette charmante femme car on sait maintenant que, changeant de toilette, et sous le nom de sœur Marie-des-Anges, elle s'introduit dans les maisons pour vendre une branche du rosier de Jéricho, sur lequel Marie faisait sécher les langes de Jésus...et voler, s'il le peut, montres et bijoux.

                                                                                                          Paul de Couder.

Journal du Dimanche, 23 novembre 1856.

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