Yvette Guilbert.
Les premiers débuts d'Yvette Guilbert datent de 1858 (1868 disent les annuaires): c'est le 20 janvier qu'elle fit son entrée dans le monde. La légende raconte que son premier geste fut de plonger ses bras dans les gants du docteur. A dix-sept ans, Yvette, alors modiste, disent les uns, vendeuse au rayon des gants du Printemps, disent les autres, était tourmentée du désir de monter sur les planches. Comme M. Gustave Charpentier n'avait pas encore créé son Conservatoire pour ouvrières, ce fut au journaliste Edmond Stoullig, qu'elle avait rencontré au théâtre, qu'Yvette confia son ambition.
Stoullig la présenta à un acteur du gymnase, Landrol, qui lui donna des leçons pendant un an: au bout de ce temps, elle débuta aux Variétés, dans Barbe-Bleue, où elle avait un couplet à chanter. Elle fit ensuite quelques essais malheureux dans le mélodrame, et entra enfin à l'Eldorado, où on lui donna 80 francs par mois pour dire deux chansons au début du spectacle. Dix ans après, le même concert lui donnait quinze cents francs par soirée; et elle demandait mille francs pour aller chanter dans le monde. Un imprésario lui offrit un million pour le suivre deux ans en Amérique. Un soir qu'Yvette avait été chanter chez un richissime Américain, de passage à Paris, celui-ci, pour la payer plus royalement, lui remit, au lieu d'argent, vingt actions d'une mine d'or encore inconnue, en lui recommandant le secret. Le secret fut si mal gardé que les actions firent fureur.
Yvette gagna cinquante mille francs dans cette affaire, et le malin financier bien davantage.
Quel motif donner de cette vogue pour une chanteuse qui n'avait pas de voix et qui n'était pas jolie? Était-ce la couleur de ses cheveux qui attirait le public, ou l'originalité de cette femme qui venait chanter sur la scène en costume de ville, et dont la longueur des gants était proportionnelle à la profondeur du décolletage? Car Yvette Guilbert a toujours eu de la pudeur... jusqu'au coude. Non, son succès est venu de son excellente diction et de sa façon très spirituelle de détailler une chanson. Yvette avait un talent particulier pour dire avec ingénuité des choses très osées. Voici deux couplets d'une de ses créations les plus goûtées; ces couplets, qui peuvent être lus de tout le monde, sont de Xanrof, l'auteur préféré d'Yvette:
Je sais une complainte
De quat'z'étudiants
Fait pour donner la crainte
Des femmes aux jeun' gens.
L'premier fait des lettres,
L'second du droit romain,
L'troisièm' fait des dettes,
L'quatrièm' ne f'sait rien.
Yvette Guilbert, adulée par la foule, aspira à relever son genre, à le dramatiser même; elle chanta des morceaux réalistes, qui étaient loin d'avoir le charme de ses premiers succès. Aujourd'hui, elle a disparu de la scène, pour l'instant du moins; elle est propriétaire, boulevard Berthier, d'un hôtel, orné d'un médaillon qui la représente; elle écrit des romans (La Vedette); elle n'est plus maigre, elle est mariée à un ingénieur américain, et elle a la délicatesse de servir une rente à l'homme qui l'a lancée et qui s'est ruiné pour elle. C'est vraiment une femme exceptionnelle.
Jean-Louis.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 15 mars 1903.
Stoullig la présenta à un acteur du gymnase, Landrol, qui lui donna des leçons pendant un an: au bout de ce temps, elle débuta aux Variétés, dans Barbe-Bleue, où elle avait un couplet à chanter. Elle fit ensuite quelques essais malheureux dans le mélodrame, et entra enfin à l'Eldorado, où on lui donna 80 francs par mois pour dire deux chansons au début du spectacle. Dix ans après, le même concert lui donnait quinze cents francs par soirée; et elle demandait mille francs pour aller chanter dans le monde. Un imprésario lui offrit un million pour le suivre deux ans en Amérique. Un soir qu'Yvette avait été chanter chez un richissime Américain, de passage à Paris, celui-ci, pour la payer plus royalement, lui remit, au lieu d'argent, vingt actions d'une mine d'or encore inconnue, en lui recommandant le secret. Le secret fut si mal gardé que les actions firent fureur.
Yvette gagna cinquante mille francs dans cette affaire, et le malin financier bien davantage.
Quel motif donner de cette vogue pour une chanteuse qui n'avait pas de voix et qui n'était pas jolie? Était-ce la couleur de ses cheveux qui attirait le public, ou l'originalité de cette femme qui venait chanter sur la scène en costume de ville, et dont la longueur des gants était proportionnelle à la profondeur du décolletage? Car Yvette Guilbert a toujours eu de la pudeur... jusqu'au coude. Non, son succès est venu de son excellente diction et de sa façon très spirituelle de détailler une chanson. Yvette avait un talent particulier pour dire avec ingénuité des choses très osées. Voici deux couplets d'une de ses créations les plus goûtées; ces couplets, qui peuvent être lus de tout le monde, sont de Xanrof, l'auteur préféré d'Yvette:
Je sais une complainte
De quat'z'étudiants
Fait pour donner la crainte
Des femmes aux jeun' gens.
L'premier fait des lettres,
L'second du droit romain,
L'troisièm' fait des dettes,
L'quatrièm' ne f'sait rien.
Yvette Guilbert, adulée par la foule, aspira à relever son genre, à le dramatiser même; elle chanta des morceaux réalistes, qui étaient loin d'avoir le charme de ses premiers succès. Aujourd'hui, elle a disparu de la scène, pour l'instant du moins; elle est propriétaire, boulevard Berthier, d'un hôtel, orné d'un médaillon qui la représente; elle écrit des romans (La Vedette); elle n'est plus maigre, elle est mariée à un ingénieur américain, et elle a la délicatesse de servir une rente à l'homme qui l'a lancée et qui s'est ruiné pour elle. C'est vraiment une femme exceptionnelle.
Jean-Louis.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 15 mars 1903.
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