mercredi 28 août 2013

Ediles de l'Amérique centrale.

Le Guatemala.

L'actualité parisienne, en l'aurore de cette année centenaire, se partage en deux branches; l'une, patriotique, scientifique et industrielle, est la lutte héroïque que soutient la Compagnie du canal de Panama pour l'oeuvre gigantesque du Grand Français; l'autre, toute politique, où le conseil municipal de Paris accapare la première place. Toutes deux entraînent notre pensée vers la vieille république centre-américaine, le Guatemala, qui, non content d'être le proche voisin des vastes chantiers sur lesquels plane le génie de M. de Lesseps, s'offre le luxe de posséder des conseils municipaux.
Bien que là-bas comme ici le chapeau haute-forme surmonte le chef de ces délégués populaires à la gestion des affaires locales, nous n'aurons pas l'irrévérence d'établir un parallèle entre les élus de Paris et les hommes graves qui, sobrement vêtus, siègent dans les différents districts qui émaillent les sept partidas ou départements de Guatemala. Et puis nous avons une vague crainte que cette comparaison, si nous la poussions à ses dernières limites, ne soient pas suffisemment défavorable aux édiles équatoriens: ce dont souffrirait trop notre amour-propre national.
Nous profiterons seulement de la complaisance qu'à mise un groupe de ces notables citoyens à la peau brune à se laisser pourtraicturer afin de nous transmettre leur image, pour dire quelques mots rapides de ce Guatemala, aujourd'hui si peu fréquenté par les Européens, et qui, après l'achèvement du canal interocéanique, deviendra une des côtes les plus universellement visitées de tout le Nouveau-Monde.




Le Guatemala est un curieux pays. A cheval sur sa cordillière ( trait-d'union entre les deux grandes sections de l'arête américaine du globe), il est généreusement arrosé d'innombrables petits cours d'eau ensanglantés fréquemment des ardents reflets de la lave que vomissent de nombreux volcans.
Les villes y ont comme un aspect écrasé, les tremblements de terre obligeant les constructions à ramper au ras du sol. Au point de vue du climat, le territoire se divise en deux longues et étroites bandes de terre où la situation météorologique est, non pas seulement différente, mais opposée. Alors que sur le versant à la fois humide et torride de la mer des Antilles, il pleut presque toute l'année, mais moins fréquemment entre les mois de juin et d'octobre, cette même saison est sur le versant plus clément du pacifique, une période de pluies diluviennes qui change les ruisseaux en torrents, pour faire place, ensuite, à une sécheresse absolue de novembre à mai.
La population, très commerçante, n'atteint pas le chiffre d'un million et demi d'âmes, et pourtant ce petit peuple a une histoire singulièrement tourmentée. Conquis en 1524, par Pedro de Alvarado, le Guatemala forma, sous la domination espagnole, une capitainerie générale distincte des autres gouvernements implantés par les conquérants. Dévasté au XVe et XVIe siècles, par les corsaires anglais et hollandais, il fut, en 1821, déclaré indépendant, et, arborant la constitution républicaine, il fit connaissance avec les crises présidentielles et les odieuses guerres civiles. 1832, 1839, 1842, et plus tard, 1862, 1865, 1867 et 1869 sont des dates de luttes intestines écrites en lettres de sang, par les partis, dans son intéressante histoire. Il n'a goûté que deux périodes de paix intérieure, jadis sous le métis Raphaël Carrera, un démocrate qui gouverna en autocrate, et récemment sous don Vincente Cerna, un conservateur gouvernant de façon très libérale.
Ces indiens auraient-ils trouvé l'énigme du meilleur gouvernement républicain que notre civilisation française cherche en vain depuis un siècle ?

                                                                                                                      W.

Journal des Voyages, 11 février 1889.

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